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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

turade, que pour rien elle ne confeſſeroit auoir autre volonté, que celle de ſa mere : mais à ce que nous pouuons iuger, elle aime trop mieulx celuy de l’enfant fortuné, que le ieune Duc de Cadouce. Et ie vous eſtime homme de ſi bon iugement, que ſi voulez des auiourd’huy vous en pourrez iuger à la verité : car celuy de l’enfant fortuné eſt nourry en ceſte court, qui eſt l’vn des plus beaux & parfaicts ieunes princes, qui ſoit en la Chreſtienté. Et ſi le mariage ſe faiſoit par l’opinion d’entre nous filles, il ſeroit aſſeuré d’auoir madame Florinde, pour veoir enſemble la plus belle couple de la Chreſtienté. Et fault que vous entendiez que combien qu’ils ſoient tous deux bien ieunes, elle de douze ans, & luy de quinze, ſi a il deſia trois ans, que l’amour eſt conioincte & commencée : & ſi voulez ſur tous auoir la bonne grace d’elle, ie vous conſeille de vous faire amy & ſeruiteur de luy. Amadour fut fort aiſe de veoir que ſa dame aimoit quelque choſe, eſperant qu’à la longue il gaigneroit le lieu, non de mary, mais de ſeruiteur : car il ne craignoit rien en ſa vertu, ſinon qu’elle ne voulut rien aimer. Et apres ces mots ſ’en alla Amadour, hãter le fils de l’enfant fortuné, duquel il eut aiſement la bonne grace, car tous les paſſetemps que le ieune prince aimoit, Amadour les ſçauoit faire : & ſur tous eſtoit fort adroict à manier les cheuaulx, & à ſ’aider de toutes ſortes d’armes, & tous autres paſſetemps & ieux, qu’vn ieune hõme doibt ſçauoir. La guerre commença en Languedoc, & fallut qu’Amadour retournaſt auec le gouuerneur, ce qui ne fut ſans grands regrets : car il n’y auoit moyen par lequel il peuſt retourner en lieu ou il ſceuſt voir Florinde : & pour ceſte occaſion parla à vn ſien frere qui eſtoit maiordomo de la Royne d’Eſpaigne, & luy diſt le bon party qu’il auoit trouué en la maiſon de la Comteſſe d’Arande, de la damoiſelle Auenturade, le priant qu’en ſon abſence il feiſt tout ſon poſsible que le mariage vint à execution, & qu’il y employaſt le credit du Roy & de la Royne, & de tous ſes amis. Le gentilhomme qui aimoit ſon frere, tant pour le lignage que pour ſes grandes vertuz, luy promiſt faire tout ſon pouuoir, ce qu’il feiſt : en ſorte que le pere vieil & auaricieux oublia ſon naturel, pour regarder les vertuz d’Amadour, leſquelles la Comteſſe d’Arãde, & ſur toutes la belle Florinde, luy peignoient deuant les yeulx, & pareillement le ieune Comte