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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

conſentiroit, ſi par madame la Comteſſe & vous, il n’en eſtoit fort prié. Florinde qui aimoit la damoiſelle comme elle meſme, l’aſſeura de prendre ceſt affaire à cueur, cõme ſon bien propre. Et feit tant Auenturade qu’elle luy preſenta Amadour, lequel en luy baiſant la main cuida eſuanouyr d’aiſe : & la ou il eſtoit eſtimé le mieulx parlant qui fuſt en Eſpaigne, deuint muet deuãt Florinde, dont elle fut fort eſtonnée : car combien qu’elle n’euſt que douze ans, ſi auoit elle deſia bien entendu qu’il n’y auoit homme en Eſpaigne mieulx diſant ce qu’il vouloit, & de meilleure grace. Et voyant qu’il ne luy diſoit rien, commença à luy dire : La renommée que vous auez, ſeigneur Amadour, par toutes les Eſpaignes, eſt telle, qu’elle vous rend cogneu en ceſte cõpaignie, & donne deſir & occaſion à ceulx qui vous cognoiſſent, de ſ’employer à vous faire plaiſir : parquoy ſi en quelque endroit ie vous en puis faire, vous m’y pouuez employer. Amadour qui regardoit la beauté de la dame, fut ſi tranſy & rauy, qu’à peine luy peut il dire grand mercy. Et combien que Florinde ſ’eſtonnaſt de le veoir ſans reſponſe, ſi eſt-ce qu’elle l’attribua plustoſt à quelque ſottiſe qu’à la force d’amour, & paſſa oultre ſans parler d’auantage. Amadour congnoiſſant la vertu qui en ſi grande ieuneſſe commençoit à ſe monſtrer en Florinde, diſt à celle qu’il vouloit eſpouſer : ne vous eſmerueillez point ſi i’ay perdu la parolle deuant madame Florinde, car les vertuz & ſi ſage parler cachez ſoubs ceſte grande ieuneſſe, m’ont tellement eſtonné, que ie ne luy ay ſceu que dire. Mais ie vous prie Auenturade (comme celle qui ſçauez ſes ſecrets) me dire ſ’il eſt poſsible que de ceſte court elle n’ayt tous les cueurs des princes & des gentils-hommes, car ceulx qui la congnoiſſent & ne l’aiment point, ſont pierres ou beſtes. Auenturade qui deſia aimoit Amadour, plus que tous les hommes du monde, ne luy voulut rien celer, & luy diſt, que madame Florinde eſtoit aimée de tout le monde, mais qu’à cauſe de la couſtume du pays peu de gens parloient à elle : & n’en auoit encores veu aucun qui en feiſt grand ſemblant, ſinon deux ieunes princes d’Eſpaigne, qui deſiroient l’eſpouſer, dont l’vn eſtoit de la maiſon, & fils de l’enfant fortuné : & l’autre eſtoit le ieune Duc de Cadouce. Ie vous prie, diſt Amadour, dictes moy lequel vous penſez qu’elle aime le mieulx. Elle eſt ſi ſage, diſt Auen-