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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

Mais contre ceſte crainte il ſe fortiffioit d’vne bonne eſperance, ſe promettant en luy-meſmes, que le temps & la patience apporteroient heureuſe fin à ſes labeurs. Et des ce temps l’amour gentil, qui ſans autre occaſion que par la force de luy-meſmes eſtoit entré au cueur d’Amadour, luy promiſt donner faueur & tout moyen pour y paruenir. Et pour pourueoir à la plus grande difficulté qui eſtoit en la loingtaineté du païs ou il demouroit, & le peu d’occaſion qu’il auoit de reueoir Florinde, il penſa de ſe marier contre la deliberation qu’il auoit faicte auec les dames de Barſelonne & de Parpignan, parmy leſquelles il auoit tellement hanté ceſte frontiere, à cauſe des guerres, qu’il ſembloit mieulx Catelan que Caſtillan, combien qu’il fuſt natif d’aupres Tollete, d’vne maiſon riche & honorable, mais à cauſe qu’il eſtoit puiſné n’auoit pas grand bien de patrimoine. Si eſt ce qu’amour & fortune le voyant delaiſſé de ſes parents, delibererent d’y faire vn chef d’œuure, & luy donnerent (par le moyen de la vertu) ce que les loix du païs luy refuſoiẽt. Il eſtoit fort bien experimenté en l’eſtat de la guerre, & tant aimé de tous ſeigneurs & princes, qu’il refuſoit plus ſouuẽt leurs biens, qu’il n’auoit ſoucy de leur en demander. La Cõteſſe dont ie vous parle arriua ainſi à Sarragoſſe, & fut tresbien receuë du Roy, & de toute ſa court. Le gouuerneur de Cathalonne la venoit ſouuent viſiter, & n’auoit garde de faillir Amadour à l’acompaigner, pour auoir le plaiſir ſeulement de parler à Florinde. Et pour ſe donner à cognoiſtre en telle compaignie, ſ’adreſſa à la fille d’vn vieil cheualier voiſin de ſa maiſon, nommée Auenturade : laquelle auoit eſté nourrie d’enfance auec Florinde, tellement qu’elle ſçauoit tout ce qui eſtoit caché en ſon cueur. Amadour tant pour l’honneſteté qu’il trouua en elle, que pource qu’elle auoit bien trois mille ducats de rente en mariage, delibera de l’entretenir comme celuy qui la vouloit eſpouſer. A quoy volontiers elle preſta l’oreille : & pource qu’il eſtoit pauure, & le pere de la damoiſelle riche, penſa que iamais ne ſ’accorderoit au mariage, ſinon par le moyen de la Comteſſe d’Arande. Dont ſ’adreſſa à madame Florinde, & luy diſt : Madame, vous voyez ce gentilhomme Caſtillan, qui ſi ſouuent parle à moy, ie croy que ce qu’il pretend, n’eſt que de m’auoir en mariage : vous ſçauez quel pere i’ay, lequel iamais ne ſ’y