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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

preſsément, voyant qu’il n’y auoit plus en luy ſentimẽt ne force d’homme vif. La fille donc par ce commandement s’aduança ſur le lict du pauure malade, luy diſant : Mõ amy ie vous prie reſiouiſſez vous. Le pauure languiſſant le plus fort qu’il peut en ſon extreme foibleſſe, eſtendit ſes bras tous deſnuez de chair & de ſang, & auec toute la force de ſon corps embraſſa la cauſe de ſa mort, & en la baiſant de ſa froide & paſle bouche, la tint le plus longuement qu’il luy fut poſsible, & puis diſt à la fille : L’amour que ie vous ay portée a eſté ſi grande & honneſte que iamais (hors mis mariage) n’ay ſouhaitté de vous autre bien que celuy que i’en ay maintenãt, par faulte duquel, & auec lequel ie rendray ioyeuſemẽt mon eſprit à Dieu, qui eſt parfaicte amour & charité qui cognoiſt la grandeur de mon amour, & l’honneſteté de mon deſir : luy ſuppliant (ayant mon deſir entre mes bras) receuoir entre les ſiẽs mõ eſprit. Et en ce diſant la reprint entre ſes bras par vne telle vehemẽce que le cueur affoibly ne pouant porter ceſt effort, fut abãdonnée de toutes ſes vertuz & eſprits : car la ioye le feit tellement dilater, que le ſiege de l’ame luy faillit, & s’en volla à ſon createur. Et combien que le pauure corps demouraſt ſans vie longuement, & par ceſte occaſion ne pouuoit plus tenir ſa priſe, toutesfois l’amour que la damoiſelle auoit touſiours celée, ſe declara à l’heure ſi fort, que la mere & les ſeruiteurs du mort eurent bien affaire à ſeparer ceſte vnion, mais à force oſterent la viſue preſque morte d’auec le mort, lequel ils feirent honorablement enterrer, mais le plus grand triumphe des obſeques furent les larmes, les pleurs & les cris de ceſte pauure damoiſelle, qui d’autant plus ſe declara apres la mort qu’elle s’eſtoit diſsimulée durant la vie, quaſi comme ſatisfaiſant au tort qu’elle luy auoit tenu. Et depuis (comme i’ay ouy dire) quelque mary qu’on luy donnaſt pour l’appaiſer n’a iamais eu ioye en ſon cueur.

Vous ſemble il, meſsieurs, qui n’auez voulu croire à ma parolle, que ceſt exemple ne ſoit pas ſuffiſante pour faire confeſſer que parfaicte amour mene les gens à la mort, par trop eſtre celée & meſcogneuë ? Il n’y a nul de vous qui ne cognoiſſe les parens d’vn coſté & d’autre, parquoy n’en pouuez plus douter, & nul qui ne l’a experimenté ne le peult croire. Les dames oyans cela, eurent toutes les larmes aux yeux : mais Hircan leur

diſt :