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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

que d’aymer trop parfaictement. Or puis qu’en ſçauez des hiſtoires, diſt Longarine, ie vous donne ma voix pour nous en racompter quelque belle, qui ſera la neufieſme de ceſte iournée. A fin, diſt Dagoucin, que ma veritable parolle ſuyuie de ſignes & miracles, vous y face adiouſter foy, ie vous reciteray vne hiſtoire aduenuë depuis trois ans.


Piteuſe mort d’vn gentil-homme amoureux ; pour auoir trop tard receu conſolation de celle qu’il aimoit.


NEVFIESME NOVVELLE.



Entre Daulphiné & Prouẽce y auoit vn gentilhõme beaucoup plus riche de vertu, beauté, & honneſteté que d’autres biens, lequel aima fort vne damoiſelle dont ie ne diray le nom, pour l’amour de ſes parẽs qui ſont venuz de bõnes & grandes maiſons, mais aſſeurez vous que la choſe eſt à cauſe qu’il n’eſtoit de maiſon de meſme elle il n’oſoit deſcouurir ſon affection : car l’amour qu’il luy portoit eſtoit ſi grand & parfaict qu’il euſt mieux aimé mourir que deſirer vne ſeule choſe, qui euſt eſté à ſon deshonneur : & ſe voyãt de ſi bas lieu au pris d’elle n’auoit nul eſpoir de l’eſpouſer. Parquoy ſon amour n’eſtoit fondé ſur nulle fin, ſinon de l’aimer de tout ſon pouuoir le plus parfaictement qu’il luy eſtoit poſsible, comme il feit ſi longuement qu’à la fin elle en eut quelque cognoiſſance. Et voyant l’honeſte amitié qu’il luy portoit tant plein de vertu & bon propos, ſe ſentoit bien heureuſe d’eſtre aimée d’vn ſi vertueux perſonnage, & luy faiſoit tant de bonnes cheres, que luy qui ne l’auoit pretendue meilleure ſe cõtentoit tresfort. Mais la malice ennemie de tout repos ne peut ſouffrir ceſte vie honneſte & heureuſe. Car quelques vns allerẽt dire à la mere de la fille, qu’ils s’esbahiſſoiẽt que ce gentil-hõme pouuoit tant faire en ſa maiſon, & que l’on ſouſtenoit que la beauté de ſa fille l’y tenoit plus qu’autre choſe, auec laquelle on le veoit ſouuent parler. La mere qui ne doutoit en nulle façon de l’honneſteté du gẽtil-homme : dont elle ſe tenoit auſsi aſſeurée


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