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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

ger le cueur ny la volonté, car ſi celle que vous aymez eſt tellement ſemblable à vous, & d’vne meſme volonté, ce ſera vous que vous aimerez & non pas elle. Dagoucin, diſt Hircan, ie veux dire que ſi noſtre amour eſt fondé ſur la beauté, bonne grace, amour, & faueur d’vne femme & noſtre fin ſoit fondée ſur plaiſir, honneur, ou profit, l’amour ne peut longuement durer : Car ſi la choſe ſurquoy nous la fondons deffault, noſtre amour s’en volle hors de nous. Mais ie ſuis ferme en mon opinion, que celuy qui aime, n’a autre fin ne deſir que de bien aimer, & laiſſera pluſtoſt ſon ame par la mort, que ceſte ferme amour faille, de ſon cueur. Par ma foy, dift Simontault, ie ne croy pas Dagoucin que iamais vous ayez eſté amoureux. Car ſi vous auiez ſenty le feu comme les autres, vous ne nous peindriez icy la republicque de Platon, qui eſcript & n’experimente point. Si i’ay aimé, diſt Dagoucin, i’ayme encores, & aymeray tant que viuray. Mais i’ay ſi grand peur, que la demonſtrance face tort à la perfection de mon amour, que ie crains que celle de qui ie deurois deſirer amitié ſemblable, l’entende. Et meſmes ie n’oſe penſer ma pensée, de peur que mes yeux en reuelent quelque choſe. Car tant plus ie tiens ce feu celé & couuert, plus en moy croiſt le plaiſir de ſçauoir, que i’ayme parfaitement. Ha par ma foy, diſt Guebron, ſi ne croy-ie pas que vous ne fuſsiez bien aiſe d’eftre aimé. Ie ne dy pas le contraire, diſt Dagoucin, mais quand ie ſerois tant aimé comme i’aime, ſi n’en ſçauroit croiſtre mon amour, comme elle ne ſçauroit diminuer pour eſtre ſi peu aimé, comme i’aime fort. À l’heure Parlamente, qui ſoupçonnoit ceſte fantaſie, luy diſt donnez vous garde Dagoucin. Car i’en ay veu d’autres que vous, qui ont mieux aimé mourir, que parler. Ceux lá donques, diſt Dagoucin s’eſtiment bien heureux. Voire diſt Saffredent, & dignes d’eſtre mis au nombre des innocens, deſquels l’Egliſe chante, Non loquendo ſed moriendo confeßi ſunt. I’en ay tant ouy parler de ſes tranſiz d’amours ; mais encores iamais n’en vey-ie mourir vn. Et puis que ie ſuis eſchappé, veu les ennuiz que i’en ay porté, ie ne penſe iamais qu’autre en puiſſe mourir. Ha Saffredent, diſt Dagoucin, voulez vous donques eſtre aimé, puis que ceux de voſtre opinion n’en meurẽt point ? Mais i’en ſçay aſſez bon nombre, qui ne ſont morts d’autre maladie,

que d’ay-