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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

cuidez vous auoir oſté ? Vous pẽfiez bien que ce fuſt à ma chambriere, pour l’amour de laquelle auez deſpenfé deux fois plus de voz biens que iamais vous ne feiſtes pout moy. Car à la premiere fois que y eſtes venu coucher, ie vous ay iugé tant amoureux d’elle, qu’il eſtoit poſsible de plus. Mais apres que vous fuſtes ſailly dehors, & puis encores retourné, il ſembloit que fuſsiez vn diable ſans ordre ne meſure. O malheureux ! penſez quel aueuglement vous a prins de loüer tant mon corps, & mon en bon point, dont par ſi long temps vous ſeul auez eſté ioïſſant, ſans en faire grande eſtime. Ce n’eſt doncques pas la beauté, & l’en bon point de voſtre chambriere qui vous a faict trouuer ce plaiſir ſi agreable : mais c’eſt le peché infame, & la vilaine concupiſcence qui bruſle voſtre cueur, & vous rend les ſens ſi hebetez que par la fureur en quoy vous mettoit l’amour de ceſte chambriere, ie croy que vous euſsiez prins vne cheure coiffée pour vne belle fille. Or il eſt temps, mon mary de vous corriger, & de vous contenter de moy, & en me congnoiſſant voſtre, & femme de bien, penſer ce que vous auez faict, cuidant que ie fuſſe vne pauure meſchante. Ce que i’ay faict, a eſté pour vous retirer de voſtre malheureté, à fin que ſur voſtre vieilleſſe, nous viuons en bõne amitié & repos de conſcience. Car ſi vous voulez continuer la vie paſsée, i’aime mieux me ſeparer de vous, que de voir de iour en iour la ruine de voſtre ame, de voſtre corps, & de voz biens deuant mes yeux. Mais s’il vous plaiſt cognoiſtre voſtre faulſe opinion, & vous deliberer de viure ſelon Dieu, gardant ſes commandemens, i’oublieray toutes les faultes paſsées, comme ie veux que Dieu oublie mon ingratitude à ne l’aimer comme ie doy. Qui fut bien esbahy & deſeſperé, ce fut ce pauure mary voyant ſa femme tãt belle, chaſte & honneſte, auoir eſté delaiſſée de luy, pour vne qui ne l’aimoit pas. Et qui pis eſt, d’auoir eſté ſi malheureux, que de la faire meſchante ſans ſon ſceu, & faire participant vn autre au plaiſir, qui n’eſtoit que pour luy ſeul. Parquoy ſe forgea en luy meſme les cornes de mocquerie perpetuelle. Mais voyant ſa femme aſſez courroucée de l’amour qu’il auoit porté à ſa chambriere, ſe garda bien de luy dire le meſchant tour qu’il luy auoit faict, & en luy demandant pardon auec promeſſe de changer entierement ſa mauuaiſe vie, luy ren-

dit ſon