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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

rier. Et y auoit entre eux telle amitié, que hors mis la femme, ils n’auoient rien party enſemble. Parquoy il declara à ſon amy l’entrepriſe qu’il auoit ſur ſa chambriere, lequel non ſeulement le trouua bon : mais aida de tout ſon pouuoir à la paracheuer, eſperãt auoir part au gaſteau. La chambriere qui ne s’y vouloit conſentir, ſe voyant preſsée de tous coſtez, l’alla dire à ſa maiſtreſſe, la priant luy donner congé de s’en aller ſur ſes parents, car elle ne pouuoit plus viure en ce tourment. La maiſtreſſe qui aimoit bien fort ſon mary, & duquel elle auoit ſoupçon, fut bien aiſe d’auoir gaigné ce poinct ſur luy, & de luy pouuoir monſtrer iuſtement qu’elle en auoit eu doubte. Parquoy diſt à ſa chambriere : Tenez bon mamie, tenez peu à peu bon propos à mon mary, & puis apres luy donnez aſsignation de coucher auec vous en ma garderobbe, & ne faillez à me dire la nuit qu’il deura venir, mais gardez que nul n’en ſçache riẽ. La chambriere feit tout ainſi que ſa maiſtreſſe luy auoit commandé : dont le maiſtre fut ſi aiſe, qu’il en alla faire la feſte à ſon compaignõ, lequel le pria, veu qu’il auoit eſté du marché, d’en auoir le demeurant. La promeſſe faicte & l’heure venuë, s’en alla coucher le maiſtre, comme il cuidoit, auec ſa chambriere. Mais ſa femme qui auoit renoncé à l’auctorité de commander pour le plaiſir de ſeruir, s’eſtoit miſe en la place de la chambriere, & receut ſon mary, nõ comme femme, mais faignant la contenance d’vne fille eſtonnée, ſi bien que ſon mary ne s’en apperceut point. Ie ne vous ſçaurois dire lequel eſtoit le plus aiſe des deux ou luy de penſer tromper ſa femme, ou elle de tromper ſon mary. Et quand il eut demeuré auec elle non ſelon ſon vouloir, mais ſelon ſa puiſſance, qui ſentoit ſon vieil marié, s’en alla hors de la maiſon, ou il trouua ſon compaignon beaucoup plus fort & ieune que luy, & luy feit la feſte d’auoir trouué la meilleure robbe, qu’il auoit point veuë. Vous ſçauez (luy diſt ſon compaignon) ce que m’auez promis. Allez doncques viſtement, diſt le maiſtre, de peur qu’elle ſe lieue, ou que ma femme ait affaire d’elle. Le cõpaignon s’y en alla & trouua encore la meſme chambriere que le mary auoit meſcogneuë. Laquelle cuidant que ce fuſt ſon mary, ne le refuſa de choſe qu’il demandaſt, i’entends demander pour prendre car il n’oſoit parler. Il y demeura bien plus longuement que le mary, dont la femme ſ’eſmerueilloit

fort.