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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

mon mary ! que ie ſuis bien aiſe de voſtre venuë, car ie faiſois vn merueilleux ſonge, & eſtois tant aiſe, que iamais ie ne receu vn tel contentement : pource qu’il me ſembloit que vous auiez recouuert la veuë de voſtre œil. Et en l’embraſſant & le baiſant le print par la teſte, & luy bouchoit d’vne main ſon bon œil, & luy demandoit : Voyez vous point mieulx, que vous n’auiez acouſtumé ? Et ce pendant qu’il ne veoit goutte feit ſortir ſon amy dehors, dont le mary ſe doubta incontinent, & luy diſt : Ma femme, par Dieu ie ne feray iamais le guet ſur vous, car en vous cuidant tromper, i’ay receu la plus fine tromperie, qui fut iamais inuentée. Dieu vous vueille amender, car il n’eſt en la puiſſance d’homme qui viue de donner ordre à la malice d’vne femme, qui ne la fera mourir. Mais puis que le bon traitement que ie vous ay fait, n’a peu ſeruir à voſtre amendement, peult eſtre que le deſpris que d’oreſnauant i’en feray, vous chaſtira. Et en ce diſant, ſ’en alla, & laiſſa ſa femme bien deſolée : qui par le moyen de ſes parents, amis, excuſes, & larmes, retourna encores auec luy.

Par cecy voyez vous, mes dames, combien eſt prompte & ſubtile vne femme à eſchapper d’vn danger. Et ſi pour couurir vn mal, ſon eſprit a promptement trouué remede, ie penſe que pour en euiter vn, ou pour faire quelque bien, ſon eſprit ſeroit encores plus ſubtil. Car le bon eſprit, comme i’ay touſiours ouy dire, eſt le plus fort. Hircan luy diſt : Vous parlerez tant des fineſſes que vous vouldrez : mais ſi ay-ie telle opinion de vous, ſi le cas vous eſtoit aduenu, vous ne le ſçauriez celer. I’aymerois autant, ce luy diſt elle, que m’eſtimiſsiez la plus ſotte du monde. Ie ne le dy pas, ce diſt Hircan : mais ie vous eſtime bien celle, qui plus toſt ſ’eſtonneroit d’vn bruit, que finement ne le feroit taire. Il vous ſemble, diſt Nomerfide, que chacun eſt comme vous, qui par vn bruit en veult couurir vn autre. Mais il y a danger qu’à la fin vne couuerture ruine ſa compaigne, & que le fondement ſoit tant chargé pour ſouſtenir les couuertures, qu’il ruine l’edifice. Mais ſi vous penſez que les fineſſes d’vn des hommes (dont chacun vous eſtime bien rempli) ſoient plus grandes, que celles des femmes, ie vous laiſſe bien mon rang pour nous en compter quelque autre. Et ſi vous voulez vous propoſer pour exemple, ie croy que vous nous apprendrez

bien