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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

deſpourueu de cueur, qu’il n’eſtoit digne d’eſtre ramentu : car ayant telle occaſion, ne deuoit ne pour vieille ne pour ieune laiſſer ſon entrepriſe. Et fault bien dire, que ſon cueur n’eſtoit pas tout plein d’amour, veu que la crainte de mort & de honte y trouua encores place. Nomerfide reſpondit à Hircan : Et que euſt faict le pauure gẽtil-homme, veu qu’il auoit deux femmes contre luy ? Il deuoit tuer la vieille, diſt Hircan, & quand la ieune ſe fuſt veuë ſeule, elle euſt eſté à demie vaincue. Tuer, diſt Nomerfide ! vous voudriez donc faire d’vn amoureux vn meurtrier. Puis que vous auez ceſte opinion, on doit biẽ craindre de tumber entre voz mains. Si i’eſtois iuſques lá, diſt Hircan, ie metiendrois pour deshonoré, ſi ie ne venois à la fin de mon intention. A l’heure Guebron diſt : Trouuez vous eſtrange qu’vne princeſſe nourrie en tout honneur, ſoit difficile à prendre d’vn ſeul homme ? vous vous deuriez donc beaucoup plus eſmerueiller d’vne pauure femme, qui eſchappe la main de deux. Guebron (diſt Emarſuitte) ie vous donne ma voix à dire la cinqieſme nouuelle, car ie penſe qu’en ſçauez quelqu’vne de ceſte pauure femme, qui ne ſeroit point faſcheuſe. Puis que vous m’auez eſleu à la partie (diſt Guebrõ) ie vous diray vne hiſtoire, que ie ſay pour en auoir faict inquiſition veritable ſur le lieu, & par lá vous verrez, que tout le ſens & la vertu des femmes, n’eſt pas au cueur & teſte des princeſſes, ny tout l’amour & fineſſe en ceux ou le plus ſouuent on eſtime qu’ils ſoient.



Vne baſteliere s’eſchappa de deux cordeliers qui le vouloient forcer, & feit ſi bien que leur peché fut deſcouuert à tout le monde.


NOVVELLE CINQIESME.



Av port à Coullon pres de Nyort, y auoit vne baſteliere, qui iour & nuict ne faiſoit que paſſer vn chacun. Aduint que deux cordeliers dudict Nyort, paſſerent la riuiere tous ſeuls auec elle. Et pource que le paſſage eſt vn des plus longs qui ſoit en France, pour la garder d’ennuyer vindrent à la prier

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