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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

gentil-homme en viendra à mourir, ſi courra le bruit par tout qu’il aura faict de vous à ſa volonté. Et la plus part diront qu’il a eſté difficile à vn gentil-homme de faire vne telle entrepriſe, ſi la dame ne luy a donné occaſion grande. Vous eſtes belle & ieune, viuãt en toute compaignie ioyeuſement, il n’y a nul en ceſte court qui ne voye la bonne chere que vous faictes au gentil-homme, dont vous auez ſoupçon, qui fera iuger chacun que s’il a faict ceſte entreprinſe, ce n’a eſté ſans quelque faulte de voſtre coſté. Et voſtre honneur, qui iuſques icy vous a faict aller la teſte leuée, ſera mis en diſpute en tous les lieux ou ceſte hiſtoire ſera racomptée. La princeſſe entendant les bõnes raiſons de ſa dame d’honneur, congneut qu’elle diſoit verité, & qu’à treſiuſte cauſe elle ſeroit blaſmée, veu la priuée & bonne chere qu’elle auoit touſiours faicte au gẽtil-homme : & demanda à ſa dame d’hõneur, ce qu’elle auoit à faire, laquelle luy diſt : Ma dame, puis qu’il vous plaiſt receuoir mon conſeil, voyant l’affection dont il procede, me ſemble que vous deuez en voſtre cueur auoir ioye, d’auoir veu que le plus beau & plus honneſte gẽtil-homme que i’aye veu, n’a ſceu ny par amour, ny par force vous mettre hors du chemin de toute honneſteté. Et en cela, madame, vous vous deuez humilier deuãt Dieu recognoiſſant que ce n’a pas eſté par voſtre vertu : car maintes femmes ayans mené vie plus auſtere que vous, ont eſté humiliées par hõmes moins dignes d’eſtre aimez que luy. Et deuez plus craindre que iamais de receuoir nuls propos d’amitié, pource qu’il y en a aſſez qui ſont tombez à la ſecõde fois aux dangers qu’elles ont euitez la premiere. Ayez memoire, ma dame, qu’Amour eſt aueugle, lequel aueugliſt de ſorte, que ou lon penſe le chemin plus ſeur, eſt à l’heure qu’il eſt le plus gliſſant. Et me ſemble, ma dame, que vous ne deuez à luy n’y à autre faire ſemblãt du cas qui vous eſt aduenu, & encore qu’il en vouluſt dire quelque choſe, feignez du tout de ne l’entendre, pour euiter deux dangers : L’vn de vaine gloire de la victoire que vous en auez euë : L’autre de prendre plaiſir en ramenteuant choſes qui ſont ſi plaiſantes à la chair, que les plus chaſtes ont bien affaire à ſe garder d’en ſentir quelques eſtincelles, encores qu’ils la fuyent le plus qu’ils peuuent. Mais auſsi madame, à fin qu’il ne pẽſe par tel hazard auoir faict choſe qui vous ait eſté agreable, ie fuis biẽ

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