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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

deſchiré, feit ſemblant d’eſtre fort malade, & de ne pouuoir veoir la lumiere, iuſques à ce que la compaignie fuſt hors de ſa maiſon. La dame, qui eſtoit demeurée victorieuſe, ſcachãt qu’il n’y auoit homme à la court de ſon frere, qui euſt oſé faire vne ſi meſchante entreprinſe que celuy qui auoit eu la hardieſſe de luy declarer ſon amour, s’aſſeura que c’eſtoit ſon hoſte. Et quãt elle eut cherché auec ſa dame d’honneur les endroicts de la chambre pour trouuer qui ſe pouuoit eſtre, & qu’il ne luy fut pofsible, elle luy diſt par grand colere : Aſſeurez vous que ce ne peult eſtre autre que le ſeigneur de ceans : & que le matin ie feray en ſorte vers mon frere, que ſa teſte ſera teſmoing de ma chaſteté. Et la dame d’honneur la voyant ainſi, luy diſt : Ma dame, ie ſuis tres-aiſe de l’amour que vous auez à voſtre honneur, pour lequel augmenter ne voulez eſpargner la vie d’vn, qui l’a trop hazardée par la force de l’amour qui l’vous porte. Mais bien ſouuent tel la cuide croiſtre, qui la diminuë : parquoy ie vous ſupplie (ma dame) me vouloir dire la verité du faict. Et quand la dame luy eut compté tout au long, la dame d’honneur luy diſt : Vous m’aſſeurez qu’il n’a eu autre choſe de vous que les eſgratigneures & coups de poing. Ie vous aſſeure (diſt la dame) que non : & s’il n’a trouué vn bon chirurgien, ie penſe que demain les marques y paroiſtront. Et puis qu’ainſi eſt, madame, diſt la dame d’honneur, il me ſemble que vous auez plus d’occaſion de louër Dieu, que de penſer à vous venger de luy : car vous pouuez croire que puis qu’il a eu le cueur ſi grand d’entreprendre une telle choſe, & le deſpit qu’il a d’y auoir failly, que vous ne luy ſçauriez donner mort, qui ne fuſt plus aiſée à porter, ſi vous deſirez d’eſtre vengée de luy, laiſſez faire à l’amour, & à la honte qui le ſçauront mieux tourmenter que vous, & le faictes pour voſtre honneur. Gardez vous, ma dame, de tumber en tel inconuenient que le ſien : car en lieu d’acquerir le plus grand plaiſir qu’il euſt ſceu auoir, il a receu le plus extreme ennuy, que gẽtil-homme ſçauroit porter. Auſſi vous, ma dame, cuidant augmenter voſtre honneur, le pourriez bien diminuer : & ſi vous en faictes la plaincte, vous ferez ſçauoir ce que nul ne ſçait : car de ſon coſté vous eſtes aſſeurée qu’il n’en ſera iamais rien reuelé. Et quand monſieur voſtre frere en feroit la iuſtice qu’en demandez, & que le pauure

gentil-