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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

eſtoit ſi bien faicte & accouſtrée de drap, qu’il ne feit vn ſeul bruit, & par lá mõta en la chambre & ruelle du lict de la dame, qui commençoit à dormir à l’heure, ſans auoir regard à l’obligation qu’il auoit à ſa maiſtreſſe, ny à la maiſon dont eſtoit la dame, ſans luy demander congé ne faire la reuerence, ſe coucha aupres d’elle, qui le ſentit pluſtoſt entre ſes bras, qu’elle n’apperceut ſa venuë. Mais elle qui eſtoit forte ſe defeit de ſes mains, & en luy demandant qui il eſtoit, ſe meit à le frapper, mordre, & eſgratigner : de ſorte qu’il fut contrainct pour la peur qu’il eut qu’elle appellaſt, luy fermer la bouche de la couuerture, ce qu’il luy fut impoſsible de faire. Car quand elle veit quil n’eſpargnoit rien de toutes ſes forces pout luy faire honte, elle n’eſpargna rien des ſiennes pour l’en garder : & appella tant qu’elle peut ſa dame d’honneur, qui couchoit en ſa chambre, ancienne & ſage femme, autant qu’il en eſtoit point : laquelle tout en chemiſe courut à ſa maiſtreſſe. Et quand le gentil-homme veit qu’il eſtoit deſcouuert, eut ſi grand peur d’eſtre congneu de la dame, que le pluſtoſt qu’il peut deſcendit par ſa trappe, & autant qu’il auoit de deſir & aſſeurance d’eſtre bien venu, autant il eſtoit deſeſperé de s’en retourner en ſi mauuais eſtat. Il trouua ſon miroër & ſa chandelle ſur ſa table, & regarda ſon viſage tout ſanglant d’eſgratigneures & de morſures, qu’elle luy auoit faictes, dont le ſang ſailloit ſur ſa belle chemiſe, qui eſtoit plus ſanglante que dorée, commença à dire : O beauté ! tu as maintenant loyer de ton merite, car par ta vaine promeſſe, i’ay entrepris vne choſe impoſsible, & qui peut eſtre au lieu d’augmenter mon contentement, eſt redoublement de mon malheur. Eſtant aſſeuré que ſi elle fait que contre la promeſſe que ie luy ay faicte, i’ay entreprins ceſte follie, ie perdray l’honneſte & commune frequentation que i’ay plus que nul autre auec elle. Ce que ma gloire, beauté, & bonne grace ont bien deſerui, ie ne le deuois pas cacher en tenebres. Pour gaigner l’amour de ſon cueur, ie ne deuois pas eſſayer à prendre par force ſon chaſte corps : mais deuois par vn ſeruice & humble patience, attendre qu’amour fuſt victorieux : pource que ſans luy n’ont pouuoir toute la vertu & puiſſance de l’homme. Ainſi paſſa la nuit en tels pleurs, regrets & douleurs, qui ne ſe peuuent racompter. Et au matin voyant ſon viſage tout