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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſtoire, en laquelle ie ne nommeray les perſonnes, pour ce que c’eſt de ſi freſche memoire, que i’aurois peur de deſplaire à quelques vns des parents bien proches.


Temeraire entreprinſe d’vn gentil-homme à lencontre d’vne princeſſe
de Flandres : & le dommage & honte qu’il en receut.


QVATRIESME NOVVELLE.



Il y avoit au païs de Flandres vne dame de ſi bõne maiſon, qu’il n’ẽ eſtoit point de meilleure, vefue du premier & ſecond mary, deſquels n’auoit eu nuls enfans viuants. Durant ſa viduité, ſe retira auec vn ſien frere, dont elle eſtoit fort aimée, lequel eſtoit bien grand ſeigneur, & mary d’vne fille de Roy. Ce ieune prince eſtoit fort ſubiect à ſon plaiſir, aimant la chaſſe, paſſe-temps, & dames, comme la ieuneſſe le requiert : & auoit vne femme fort faſcheuſe, à laquelle les paſſetẽps du mary ne plaiſoient point. Parquoy le ſeigneur menoit touſiours auec ſa femme ſa ſœur, qui eſtoit de ioyeuſe vie, qui eſtoit la meilleure compaignie qu’il eſtoit poſsible, toutesfois ſage, & femme de bien. Il y auoit en la maiſon de ce grand ſeigneur un gentil-homme, dont la grandeur, beauté & bonne grace paſſoit celle de tous ſes compaignons. Ce gentil-homme voyant la ſœur de ſon maiſtre, femme ioyeuſe, & qui rioit volontiers, penſa qu’il eſſaieroit ſi les propos d’vn honneſte amy luy deſplairoient, ce qu’il feit : mais il trouuva en elle reſponſe contraire à ſa contenance. Et combien que ſa reſponſe fuſt telle comme il appartenoit à vne princeſſe & vraye femme de bien : ſi eſt-ce que le voyant tant beau & honneſte comme il eſtoit, elle luy pardonna aiſément ſa grande audace, & monſtroit bien qu’elle ne prenoit point à deſplaiſir, quand il parloit à elle, luy diſant neãtmoins qu’il ne tint plus de tels propos : ce qu’il luy promiſt pour ne perdre l’aiſe & honneur qu’il auoit de l’entretenir. Toutesfois à la longue augmenta ſi fort ſon affection, qu’il oublia la promeſſe qu’il luy auoit faicte, non qu’il entreprint de ſe hazarder par parolles, car il auoit trop


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