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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

retournant en ſa maiſon, qui trouuva ceſt eſcriteau nouuellemẽt eſcrit, en demanda au gentil-homme la ſignification, lequel luy diſt : Si le ſecret du Roy eſt caché au cerf, ce n’eſt pas raiſon que celuy du cerf ſoit declaré au Roy. Mais contentez vous, que tous ceulx qui portent cornes n’ont pas le bonnet hors de la teſte : car elles ſont ſi doulces qu’elle ne deſcoiffent perſonne, & celuy les porte plus legierement, qui ne les cuide pas auoir. Le Roy cogneut bien par ces parolles, qu’il ſçauoit bien quelque choſe de ſon affaire : mais iamais n’euſt ſoupçonné l’amitié de la Royne & de luy. Car tant plus la Royne eſtoit contente de la vie de ſon mary, & plus faignoit d’en eſtre marrie. Parquoy veſquirent longuement d’vn coſté & d’autre en ceſt amitié, iuſques à ce que la vieilleſſe y meiſt ordre.

Voila, mes dames, vne hiſtoire que volontiers ie vous monſtre icy par exemple, à fin que quand voz mariz vous donnerõt les cornes de cheureul, vous leur en donnez de cerf. Emarſuite commẽça à dire en riant : Saffredent, ie ſuis toute aſſeurée, que ſi vous aimiez autant qu’autres fois auez faict, vous endureriez cornes auſsi grandes qu’vn cheſne, pour en rendre vne à voſtre fantaſie : mais maintenant que les cheueux vous blanchiſſent, il eſt temps de donner treues à voz deſirs, Ma damoiſelle (diſt Saffredent) combien que l’eſperance m’en ſoit oſtée par celle que i’ayme, & la fureur par l’aage, ſi n’en ſçauroit diminuer la volonté. Mais puis que vous m’auez reprins d’vn ſi hõneſte deſir, ie vous donne ma voix à dire la quatrieſme nouuelle, à fin que nous voyons ſi par quelque exemple vous m’en pourrez deſmentir. Il eſt vray que durant ce propos vne de la compaignie ſe print bien fort à rire, ſçachant que celle qui prenoit les parolles de Saffredent à ſon aduantage, n’eſtoit pas tant aimé de luy, qu’il en euſt voulu ſouffrir cornes, honte, ou dommage. Et quand Saffredent veit que celle qui rioit l’entendoit, il s’en tint treſcontent, & ſe teut pour laiſſer dire Emarſuitte, laquelle commença ainſi : Mes dames, à fin que Saffredent & toute la compaignie congnoiſſe que toutes dames ne font pas ſemblables à la Royne, de laquelle il a parlé : & que tous les fols & hazardeux ne viennent pas à leur fin, & auſsi pour ne celer l’opinion d’une dame, qui iugea le deſpit d’auoir failly à ſon entreprinſe pire à porter que la mort, ie vous racompteray vne hi-

ſtoire,