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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

vous n’auez pas bien fondé l’amour de tous les cueurs : car ie vous oſe bien dire, que tel vous aime, de qui l’amour eſt ſi grãd & importable, que la voſtre aupres de la ſienne ne ſe monſtreroit rien. Et d’autant qu’il veoit l’amour du Roy faillie en vous, la ſienne croiſt & augmente de telle ſorte, que ſi vous l’auez pour agreable, vous ſerez recompenſée de toutes voz pertes. La Royne commença tant par ſes parolles, que par ſa contenance à recognoiſtre, que ce qu’il diſoit procedoit du fond du cueur : & va rememorer, que long temps y auoit qu’il cherchoit de luy faire ſeruice, par telle affection qu’il en eſtoit deuenu melancolique : ce qu’elle auoit auparauant penſé venir à l’occaſion de ſa femme : mais maintenant croit elle fermement, que c’eſtoit pour l’amour d’elle. Et auſsi la vertu d’amour, qui ſe faict ſentir quand elle n’est feincte, la rendit certaine de ce qui eſtoit caché à tout le monde. Et en regardant le gentil-homme, qui eſtoit trop plus amiable que ſon mary, voyant qu’il eſtoit delaiſſé de ſa femme, comme elle du Roy, preſſée de deſpit & ialouſie de ſon mary, & incitée de l’amour du gentilhomme, commença à dire la larme à l’œil, & ſouſpirant : O mon Dieu : fault il que la vengeance gaigne ſur moy ce que nul amour n’a peu faire ? Le gentil-homme bien entendant ce propos luy reſpondit : Ma dame, la vengeance eſt doulce de celuy, qui au lieu de tuer l’ennemy, donne vie à vn parfaict amy. Il me ſemble qu’il eſt temps que la verité vous oſte la ſotte amour que vous portez à celuy qui ne vous aime point : et l’amour iuſte & raiſonnable chaſſe hors de vous la crainte, qui iamais ne peult demeurer en vn cueur grãd & vertueux. Or ſus, madame, mettons à part la grandeur de voſtre eſtat, & regardons que nous ſommes l’homme & la femme de ce monde les plus mocquez & trahis de ceulx que nous auons plus parfaictement aimez. Reuenchons nous, madame, non tant pour leur rendre ce qu’ils meritent, que pour ſatisfaire à l’amour, qui de mon coſté ne ſe peult plus porter ſans mourir. Et ie penſe, que ſi n’auez le cueur plus dur que nul caillou, ou diamant, il eſt impoſsible que vous ne ſentiez quelque eſtincelle du feu, qui croiſt tant plus que ie le veulx diſsimuler. Et ſi la pitié de moy, qui meurs pour l’amour de vous, ne vous incite à m’aimer, au moins celle de vous meſmes vous y doibt contraindre, qui eſtant ſi parfaicte

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