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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

en luy diſant : M’amie, qu’auez vous ? d’ou eſtes vous ? & qui vous amene en ce lieu ? La pauure religieuſe, qui ne la cognoiſſoit point, luy diſt : Helas, m’amie ! mon malheur eſt tel, que ie n’ay recours qu’à Dieu, lequel ie prie me donner le moyen de parler à madame la Ducheſſe d’Alençon : car à elle ſeule, ie compteray mon affaire, m’aſſeurãt que s’il y a ordre, elle le trouuera. M’amie, ce luy diſt la Ducheſſe, vous pouuez parler à moy comme à elle, car ie ſuis fort de ſes amies. Pardonnez moy, diſt la religieuſe, iamais autre qu’elle ne ſçaura mon ſecret. A l’heure la Ducheſſe luy diſt, qu’elle pouuoit parler franchement, & qu’elle auoit trouué ce qu’elle demandoit. La pauure femme ſe ietta lors à ſes pieds : & apres auoir longuement pleuré & crié, luy racompta tout ce qu’auez ouy de ſa pauureté. Adonc la Ducheſſe la reconforta ſi bien, que ſans luy oſter la repentance continuelle de ſon peché, luy meit hors de l’entendement le voyage de Rome, & la rẽuoya à ſon prieuré, auecques des lettres à l’eueſque du lieu, pour donner ordre à faire chaſſer ce religieux ſcandaleux.

Ie tiens ce compte de ladicte Ducheſſe meſmes, par lequel vous pouuez veoir, mes dames, que la recepte de Nomerfide ne ſert pas à toutes perſonnes : car ceux cy touchans & enſeueliſſans le mort, ne furẽt moins touchez de lubricité. Voila vne inuẽtiõ, diſt Hircan, de laquelle, ie croy, que iamais hõme n’vſa, de parler de la mort, & faire les œuures de la vie. Ce n’eſt point œuure de vie, d’iſt Oiſille, de pecher : car on ſçait biẽ que peché engendre la mort. Croyez, diſt Saffredent, que ces pauures gens ne penſoient point à toute ceſte Theologie. Mais comme les filles de Lot enyurerent leur pere, penſans conſeruer nature humaine : auſsi ces pauures gens vouloient reparer ce que la mort auoit gaſté en ce corps, & en refaire vn tout nouueau. Parquoy ie ne voy mal, que les larmes de la pauure religieuſe, qui touſiours pleuroit & touſiours retournoit à la cauſe de ſon pleur. I’en ay aſſez veu de telles, diſt Hircan, qui pleurent leur peché, & rient leur plaiſir tout enſemble. Ie me doute bien, diſt Parlamente, pour qui vous le dictes : dont il me ſemble, que le rire a aſſez duré, & ſeroit temps que les larmes commençaſſent. Taiſez vous, diſt Hircan, encores n’eſt pas finie la

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