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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ment leurs patenoſtres & heures de noſtre dame, pource qu’elles eſtoient occupées au ſeruice des malades. Vn iour vint à mourir vn pauure homme, ou toutes les religieuſes s’aſſemblerent : & apres luy auoir faict tous les remedes pour ſa ſanté, enuoyerent querir vn de leurs religieux pour le confeſſer : puis voyans qu’il s’affoibliſſoit, luy baillerent l’vnction, & peu apres il perdit la parole. Mais pource qu’il demeura longuement à paſſer, & faiſoit ſemblant d’ouyr, chacune ſe meit à luy dire les meilleures paroles qu’elles peurent, dont à la longue, elles ſe faſcherent : car voyans la nuict venuë, & qu’il eſtoit tard, s’en allerent coucher l’vne apres l’autre, & ne demeura lá pour enſeuelir le corps qu’vne des plus ieunes auec vn religieux, qu’elle craignoit plus que le prieur, ny autre, pour la grande auſterité, dont il vſoit tant en vie qu’en paroles. Et quand ils eurent bien crié, Ieſus, à l’oreille du pauure homme, cogneurent qu’il eſtoit treſpaſsé. Parquoy tous deux l’enſeuelirent. Et en exerçant ce dernier œuure de miſericorde, commença le religieux à parler de la miſere de la vie, & de la bien-heureté de la mort, & en ces propos là paſſerent la mynuict. La pauure fille eſcoutoit ententiuemẽt ces deuots propos, & le regardoit les larmes aux yeux, ou il print ſi grand plaiſir, que, parlant de la vie aduenir, commença de l’embraſſer, comme s’il euſt eu enuie de la porter entre ſes bras, droict en paradis. La pauure fille, eſcoutant ces propos, & l’eſtimant le plus deuot de la compagnie, ne l’oſa refuſer. Quoy voyant le meſchant moyne en parlãt touſiours de Dieu, paracheua auec elle l’œuure, que ſoudain le diable leur auoit mis au cueur (car au parauant n’en auoit iamais eſté queſtion) l’aſſeurãt qu’vn peché ſecret n’eſtoit point imputé deuãt Dieu : & que deux perſonnes non liées, ne peuuẽt offenſer en tel cas, quand il n’en vient point de ſcandale : & que, pour l’euiter, elle ſe gardaſt bien de ſe confeſſer à autre, qu’à luy. Ainſi ſe departirent d’enſemble, elle la premiere, qui, en paſſant par vne chapelle de noſtre dame, voulut faire ſon oraiſon, comme elle auoit accouſtumé : mais quand elle commença à dire, Vierge Marie, luy ſouuint, qu’elle auoit perdu ce tiltre de virginité, ſans force ny amour, ains par vne ſotte crainte : dont elle ſe print ſi fort à pleurer, qu’il ſembloit, que le cueur luy deuſt fendre. Le

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