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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

guet qu’il en fut preſque aſſeuré. Mais pour la crainte qu’il auoit, que celuy qui luy faiſoit iniure ne luy feiſt pis ſ’il en faiſoit ſemblant, ſe delibera de le diſsimuler : car il eſtimoit mieulx viure auec quelque faſcherie, que de hazarder ſa vie pour vne femme, qui n’auoit point d’amour. Toutesfois en ce deſpit penſa de rendre la pareille au Roy, ſ’il luy eſtoit poſsible. Et ſçachant que ſouuẽt le deſpit faict faire à vne femme plus que l’amour, principalement à celles qui ont le cueur grand & honorable, print la hardieſſe vn iour en parlant à la Royne, de luy dire, qu’il auoit grande pitié de ce qu’elle n’eſtoit autrement aymée du Roy ſon mary. La Royne qui auoit ouy parler de l’amitié du Roy & de ſa femme, ie ne puis pas (dict elle) auoir l’honneur & le plaiſir enſemble : Ie ſçay bien que i’ay l’honneur dont vne reçoit le plaiſir : auſsi celle qui a le plaiſir, n’a pas l’hõneur que i’ay. Luy qui entendoit bien pour qui ces parolles eſtoient dictes, luy reſpondit : Ma dame l’honneur eſt né auec vous : car vous eſtes de ſi bõne maiſon, que pour eſtre Royne ou Emperiere ne ſçauriez augmenter voſtre nobleſſe : mais voſtre beauté, grace, & honneſteté a tant merité de plaiſir, que celle qui vous en oſte ce qu’il vous en appartient, ſe faict plus de tort qu’à vous. Car pour vne gloire, qui luy tourne à honte, elle pert autant de plaiſir, que vous ou dame de ce royaume ſçauriez auoir. Et vous puis dire, ma dame, que ſi le Roy auoit mis ſa couronne hors de deſſus ſa teſte, ie penſe qu’il n’auroit nul aduantage ſur moy de contenter vne dame. Eſtant ſeur que pour ſatisfaire à vne ſi honneſte perſonne que vous, il deuroit vouloir auoir changé ſa complexion à la mienne. La Royne en riant luy reſpondit : Combien que le Roy ſoit de plus delicate complexion que vous, ſi eſt-ce que l’amour qu’il me porte me cõtente tant, que ie la prefere à toute autre choſe. Le gentilhomme luy diſt : Ma dame, ſ’il eſtoit ainſi, vous ne me feriez point de pitié : car ie ſçay bien que l’honneſte amour de voſtre cueur vous rendroit tel contentemẽt, ſ’il trouuoit en celuy du Roy pareil amour : mais Dieu vous en a bien gardée, à fin que ne trouuant en luy ce que vous demandez, vous n’en feiſsiez votre Dieu en terre. Ie vous confeſſe (diſt la Royne) que l’amour que ie luy porte eſt ſi grand, qu’en nul autre cueur qu’au mien ne ſe peult trouuer ſemblable. Pardonnez moy ma dame (luy diſt le gẽtil-homme)

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