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LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLES

uois ſçauoir, que nul ne pouuoit garder mon ſecret mieux que moy meſme. Le Duc a plus de raiſon de dire le ſien à ſa femme, que moy le mien à luy. Ie n’accuſe que moy ſeul, de la plus grãde meſchanceté, qui oncques fut cõmiſe entre amis. Ie deuois endurer d’eſtre ietté en la riuiere, comme il me menaçoit : au moins, m’amie, tu fuſſes demeurée viue, & moy glorieuſement mort, obſeruant la loy, que vraye amitié cõmande : mais l’ayant rompue, ie demeure vif, & vous, par aimer parfaictement, eſtes morte : car voſtre cueur tãt pur & net, n’a ſceu porter ſans mort, de ſçauoir le vice, qui eſtoit en voſtre amy. O mon Dieu ! pourquoy me creaſtes vous homme, ayãt l’amour ſi legiere, & cueur tant ignorant ? Pourquoy ne me creaſtes vous le petit chien, qui a fidelement ſeruy ſa maiſtreſſe ? Helas ! mon petit amy, la ioye, que me donnoit voſtre iapper, eſt tournée en mortelle triſteſſe, puis que par moy autre que nous deux a ouy voſtre voix. Si eſt ce, m’amie, que l’amour de la Ducheſſe, ne de femme viuãte, ne m’a faict varier : combien que pluſieurs fois la meſchante men ait requis & prié : mais ignorance m’a vaincu, penſant à iamais aſſeurer votre amitié : toutesfois, pour ceſte ignorãce ie ne laiſſe d’eſtre coulpable : car i’ay reuelé le ſecret de m’amie, i’ay faulſé ma promeſſe, qui eſt la ſeule cauſe, dont ie la voy morte deuant mes yeux. Helas, m’amie ! me ſera la mort moins cruelle qu’à vous, qui par amour a mis fin à voſtre innocente vie ? Ie croy, qu’elle ne daigneroit toucher à mon infidele & miſerable cueur : car la vie deshonorée, & la memoire de ma perte, par ma faulte, eſt plus importable, que dix mille morts. Helas, m’amie ! ſi quelqu’vn, par malheur ou malice, vous euſt oſé tuer, promptement i’euſſe mis la main à l’eſpée, pour vous venger. C’eſt donc raiſon, que ie ne pardonne à ce meurtrier, qui eſt cauſe de voſtre mort, par vn acte, qui eſt plus meſchant, que de vous donner vn coup d’eſpée. Si ie ſçauois vn plus meſchant bourreau que moy-meſmes, ie le prierois d’executer voſtre traiſtre amy. O amour ! par ignoramment aimer, ie vous ay offenſé. Auſsi ne me voulez ſecourir, comme vous auez faict celle, qui a gardé toutes voz loix. Et n’eſt pas raiſon, que par vn ſi honneſte moyẽ ie deſſine : mais il eſt raiſonnable, q̃ ce ſoit par ma propre main : & puis qu’auec mes larmes i’ay laué voſtre viſage, & auec ma langue vous ay requis pardon : il ne reſte plus, qu’auec ma

main