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LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLLES

a elle faict venir de vertueux, vicieux ? & de bon, mauuais ? & d’homme, beſte cruelle ? O mon amy ! combien que vous me faillez de promeſſe, ſi vous tiendray-ie la mienne : c’eſt, de iamais plus ne vous veoir apres la diuulgation de noſtre amitié : & auſsi ne pouuant viure ſans voſtre veuë, ie m’accorde volontiers à l’extreme douleur que ie ſens : à laquelle ne veux chercher remede, ne par raiſon, ne par medecine : car la mort ſeule, y mettra la fin : qui me ſera trop plus plaiſante, que de demeurer au monde ſans amy, ſans honneur, & ſans contentement. La guerre, ou la mort, ne m’ont point oſté mon amy : mon peché, ne ma coulpe, ne m’ont point oſté mon honneur : ma faulte, ne mon demerite, ne m’ont faict perdre mon contentemẽt : mais c’eſt l’infortune cruelle, qui rend ingrat le plus obligé de tous les hommes, qui m’a faict receuoir le contraire de ce que i’auois deſſeruy. Helas, ma dame la Ducheſſe : quel plaiſir vous a eſté, quand par mocquerie m’auez allegué mon petit chien ? Or iouïſſez vous du bien, qui à moy ſeule appartiẽt. Vous vous mocquez de celle, qui penſoit, par bien celer & vertueuſement aimer, eſtre exempte de toute mocquerie. O que ce mot m’a ſerré le cueur, qu’il m’a faict rougir de hõte, & pallir de ialoufie ? Helas, mon cueur ! ie ſens bien, que n’en pouuez plus : l’amour mal recogneu vous bruſle, la ialoufie & le tort, que lon vous tient, vous glace & amortit, par deſpit & regret, ne permettant de vous donner conſolation. Helas, mon ame ! par trop auoir adoré la creature, auez oublié le Createur. Il vous fault retourner entre les mains de celuy, duquel l’amour vaine vous auoit rauie. Prenez confiance, mon ame, de le trouuer meilleur pere, que n’auez trouué amy celuy, pour lequel l’auez ſouuent oublié. O mon Dieu mon Createur ! qui eſtes le vray & parfaict amy, par la grace duquel l’amour, que i’ay portée à mõ amy, n’a eſté tachée de nul vice, ſinon de trop aimer, ie ſupplie voſtre miſericorde de receuoir l’ame & l’eſprit de celle, qui ſe repent auoir failly à voſtre premier & iuſte commandement. Et par le merite de celuy duquel l’amour eſt incomprehenſible, excuſez la faulte, que trop d’amour m’a faict faire : car en vous ſeul i’ay ma parfaicte confiance. Et à Dieu, mon amy, duquel le nom ſans effect me creue le cueur. A ceſte parole ſe laiſſa tõber toute à l’enuers, & luy deuint la couleur bleſmne, & les leüres bleuës,

& les