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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

heure apres minuict, & le Duc ſortit deuant, & monterẽt à cheual, & s’en retournerẽt d’ou ils eſtoiẽt venuz, & par les chemins le Duc iuroit inceſſamment au gentil-homme, qu’il aimeroit mieux mourir, que de iamais reueler ſon ſecret : & print telle fiãce & amour en luy, qu’il n’y auoit nul en ſa court, qui fuſt plus en ſa grace : dõt la Ducheſſe deuint toute enragée. Mais le Duc luy deffendit de iamais plus luy en parler, & qu’il en ſçauoit la verité, dont il ſe tenoit pour content : car la dame qu’il aymoit eſtoit plus aimable qu’elle. Ceſte parole naüra ſi autant le cueur de la Ducheſſe, qu’elle en print vne maladie pire que la fieüre. Le Duc l’alla veoir pour la conſoler, mais il n’y auoit ordre, s’il ne luy diſoit, qui eſtoit ceſte belle dame tant aimée. Dont elle luy faiſoit vne vie importune, & le preſſa tant, que le Duc s’en alla hors de ſa chambre, luy diſant : Si vous me tenez plus tels propos, nous nous ſeparerons d’enſemble. Ces paroles augmẽterent la maladie de la Ducheſſe, qui feignoit bouger ſon enfant, dont le Duc fut ſi ioyeux, qu’il s’en alla coucher auec elle. Mais à l’heure qu’elle le veid plus amoureux d’elle, ſe tournoit de l’autre coſté, luy diſant : Ie vous ſupplie, monſieur, puis que vous n’auez amour à femme ne enfans, nous laiſſer mourir tous deux. Et auec ces paroles ietta tant de larmes & de cris, que le Duc eut grand peur qu’elle perdiſt ſon fruict. Parquoy la prenant entre ſes bras, la pria de luy dire que c’eſtoit qu’elle vouloit, & qu’il n’auoit rien qui ne feuſt pour elle. Ha, monſieur, (celuy reſpondit elle en pleurãt) quelle eſperance puiſ-ie auoir, que vous fiſsiez pour moy vne choſe difficile, quand la plus facile & raiſonnable du monde, vous ne la voulez pas faire, qui eſt, de me dire l’amie du plus meſchãt ſeruiteur que vous euſtes oncques ? Ie penſois, que vous & moy ne fuſsions qu’vn cueur : mais maintenant ie cognois bien, que vous me tenez pour vne eſtrangere, veu que voz ſecrets, qui ne me doiuent eſtre celez, vous les cachez comme à vne perſonne ennemie. Helas, monſieur ! vous m’auez dict tans de choſes grandes & ſecrettes, deſquelles n’auez iamais entendu que i’aye parlé. Vous auez tant experimenté ma volonté egale à la voſtre, que ne deuez douter, que ie ne ſois plus vous meſmes, que moy. Et ſi vous auez iuré de jamais ne dire à autruy le ſecret du gentil-homme, en le me diſant, ne faillez à voſtre ſerment : car ie ne ſuis, ny ne peux

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