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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

deux, iuſques à vn carneual, que le Roy alla en maſque parmy les maiſons, ou chacun ſ’efforçoit de luy faire le meilleur recueil qu’il pouuoit. Et quand il vint en celle de ce gentil-hõme, fut traicté trop mieulx qu’en nul autre lieu, tant de confitures, que de chantres de muſique, & de la plus belle femme que le Roy euſt veuë à ſon gré. Et à la fin du feſtin diſt vne chanſon auec ſon mary, d’vne ſi bonne grace, que ſa beauté en augmentoit. Le Roy voyant tant de perfections en vn corps : ne print pas tant de plaiſir aux deux accords de ſon mary ne d’elle, qu’il feit à penſer cõme il les pourroit rompre. Et la difficulté qu’il en faiſoit, eſtoit la grande amitié qu’il veoit entre eulx deux : parquoy il porta en ſon cueur ceſte paſsion la plus couuerte qu’il luy fut poſsible. Mais pour la ſoulager en partie, faiſoit faire feſtins à tous les ſeigneurs & dames de Naples, ou le gentil-homme & ſa femme n’eſtoient oubliez. Et pource que l’homme croit volontiers ce qu’il voit, il luy ſembloit que les yeulx de ceſte dame luy promettoient quelque biẽ aduenir, ſi la preſence du mary n’y donnoit empeſchement. Et pour eſſayer ſi ſa penſée eſtoit veritable, donna vne commiſsion au mary de faire voyage à Rome, pour quinze iours ou trois ſemaines. Et ſi toſt qu’il fut dehors, ſa femme qui ne l’auoit encores loing perdu de veuë, en feit vn fort grand dueil, dont elle fut reconfortée par le Roy, le plus ſouuẽt qu’il luy fut poſsible, par ſes doulces perſuaſiõs, par preſens, & par dons. De ſorte qu’elle fut non ſeulement conſolée, mais contente de l’abſence de ſon mary. Et auant les trois ſepmaines qu’il deuoit eſtre de retour, fut ſi amoureuſe du Roy, qu’elle eſtoit auſsi ennuyée du retour de ſon mary, qu’elle auoit eſté de ſon allée. Et pour ne perdre la preſence du Roy, accorderent enſemble que quand le mary iroit en ſes maiſons aux champs, elle le feroit ſçauoir au Roy, lequel la pourroit ſeurement aller voir, & ſi ſecrettement, que l’homme (qu’elle craignoit plus que la conſcience) n’en ſeroit point bleſſé. En ceſte eſperance là ſe tint fort ioyeuſe ceſte dame. Et quand ſon mary arriua luy feit ſi bon recueil, que combien qu’il euſt entendu qu’en ſon abſence le Roy la cheriſſoit, ſi n’en peut il rien croire. Mais par longueur de temps ce feu tant difficille à couurir, commença peu à peu à ſe monſtrer, en ſorte que le mary ſe douta bien fort de la verité, & feit ſi bon

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