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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

car d’vn coſté, voyant qu’en diſant verité, il perdoit s’amie, ſi elle ſçauoit que par ſa faulte luy failloit de promeſſe : auſsi qu’en ne la confeſſant, il eſtoit banny du païs ou elle demeuroit, & n’auoit plus moyen de la veoir : ainſi preſſé des deux coſtez, luy vint vne ſueur froide, comme à celuy, qui par triſteſſe approchoit de la mort. Le Duc, voyant ſa contenance, iugea qu’il n’auoit nulle dame fors que la ſienne, & que pour n’en pouuoir nommer vne autre, il enduroit telle paſsion. Parquoy luy diſt aſſez rudement : Si voſtre dire eſtoit veritable, vous n’auriez tant de peine à me le declarer : mais ie croy que voſtre offenſe vous tourmente. Le gentil-homme picqué de ceſte parole, & poulſé de l’amour qu’il luy portoit, ſe delibera de luy dire verité, ſe confiant que ſon maiſtre eſtoit tant homme de bien, que pour rien ne le voudroit reueler. Et ſe mettant à genoux deuant luy, les mains ioinctes, luy diſt : Monſieur, l’obligation que i’ay à vous, & la grande amour, que ie vous porte, me forcẽt plus que la peur de nulle mort : car ie vous voy en telle fantaſie & faulſe opinion de moy, que, pour vous oſter d’vne ſi grande peine, ie ſuis deliberé de faire ce que, pour nul tourmẽt, ie n’euſſe faict : vous ſuppliant, monſieur, en l’honneur de Dieu me iurer en foy de prince & de chreſtien, que iamais vous ne reuelerez le ſecret, que (puis qu’il vous plaiſt) ie ſuis contrainct de dire. A l’heure le Duc luy iura tous les ſermẽs, dont il ſe peut aduiſer, de iamais à creature du monde n’en reueler rien, ne par parole, ne par effect, ne par contenãce. Le gentil-homme, ſe tenant aſſeuré d’vn ſi vertueux prince, comme il le cognoiſſoit, alla baſtir le commencement de ſon malheur, en luy diſant : Il y a ſept ans paſſez, mon ſeigneur, qu’ayant cogneu voſtre niece eſtre vefue & ſans party, i’ay mis peine d’acquerir ſa bonne grace. Et pource que ie n’eſtois de maiſon pour l’eſpouſer, ie me contentois d’eſtre enuers elle receu pour ſeruiteur, ce que i’ay eſté. Et Dieu a voulu que noſtre affaire iuſques icy a eſté conduit ſi ſagement, que iamais homme ou femme, qu’elle & moy, n’en a rien entendu, ſinon vous, monſeigneur, entre les mains duquel ie mets ma vie & mon honneur, vous ſuppliant le tenir ſecret, & n’en auoir en moindre eſtime ma dame, voſtre niece : car ie ne penſe ſous le ciel vne plus parfaicte & chaſte creature. Qui fut bien aiſe, ce fut le Duc : car cognoiſſant la treſ-

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