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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

dont ie ſerois auſsi peu amoureux : & y en a aſſez d’autres, ou ie mettrois pluſtoſt ma fantaſie. Le Duc commencça à s’adoucir oyant ce veritable propos, & luy diſt : Auſsi ne l’ay-ie pas creu : parquoy faictes comme vous auez accouſtumé, vous aſſeurant, que, ſi ie cognois la verité de voſtre coſté, vous aimeray mieux que ie ne feis oncques : auſsi par le contraire, voſtre vie eſt en ma main : dont le gentil-homme le mercia, ſe ſoumettant à toute peine & punition, s’il eſtoit trouué coulpable. La Ducheſſe, voyant le gentil-homme ſeruir, comme il auoit accouſtumé, ne le peuſt porter en patience, mais diſt à ſon mary : Ce ſeroit bien employé mõſieur, ſi vous eſtiez empoiſonné, veu qu’auez plus de fiance en voz ennemis mortels, qu’en voz amis. Ie vous prie, m’amie, ne vous tourmentez point de ceſt affaire : car ſi ie cognois que ce que m’auez dict ſoit vray, ie vous aſſeure qu’il ne demeurera pas en vie vingt quatre heures : mais il m’a tant iuré le contraire (veu auſſi que iamais ne m’en ſuis apperceu) que ie ne le puis croire, ſans grande preuue. En bonne foy, monſieur, luy diſt elle, voſtre bonté rend ſa meſchanceté plus grande. Voulez vous plus grande preuue, que de veoir vn homme tel, que luy, ſans auoir bruit d’eſtre amoureux ? Croyez, monſieur, que ſans la haulte entreprinſe, qu’il auoit miſe en ſa teſte de me ſeruir, il n’euſt tant demeuré à trouuer maiſtreſſe. Car oncques ieune homme ne veſquit en ſi bonne compagnie ainſi ſolitaire qu’il faict, ſinon qu’il ait le cueur en ſi hault lieu, qu’il ſe contente de ſa vaine eſperance : & puis que vous penſez qu’il ne vous cele nulle verité, ie vous ſupplie mettez le à ſerment de ſon amour : car s’il en aime vne autre, ie ſuis contente que vous le croyez : ſinon, penſez que ie dy verité. Le Duc trouua les raiſons de ſa femme tresbonnes, & mena le gentil-hõme aux champs, auquel il diſt : Ma femme continuë touſiours ſon opinion, & m’allegue vne raiſon, qui me cauſe vn grand ſoupçon contre vous : c’eſt, que lon s’esbahiſt, que, vous eſtant ſi honneſte & ieune, n’auez jamais aimé, que lon ayt ſceu : qui me faict penſer, que vous auez l’opinion qu’elle dict, l’eſperãce de laquelle vous rend ſi content, que ne pouuez penſer en autre femme. Parquoy ie vous prie comme amy, & commande comme maiſtre, que vous ayez à me dire ſi vous eſtes ſeruiteur de nulle dame de ce monde. Le pauure gentil-homme, combien qu’il euſt bien