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LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLES

gnon parler au Duc, & porter vne lettre, le ſupliant tres humblement, que, ſi par mauuais rapport il eſtoit eſlongné de ſa preſence, il luy pleuſt ſuſpendre ſon jugement, iuſques apres auoir entendu de luy la verité du faict, & qu’il trouueroit qu’en nulle ſorte il ne l’auoit offensé. Voyant ceſte lettre le Duc rappaiſa vn peu ſa colere, & ſecrettement l’enuoya querir en ſa chambre, auquel diſt d’vn viſage furieux : Ie n’euſſe iamais pensé, que la peine, que i’ay prinſe de vous nourrir comme enfant, ſe deuſt conuertir en repentance de vous auoir tant aduancé, veu que vous m’auez pourchaſſé ce qui m’a eſté plus dommageable, que la perte de ma vie & des biens, d’auoir voulu toucher à l’honneur de celle, qui eſt la moitié de moy, pour rendre ma maiſon & ma lignée infame iuſques à jamais. Vous pouuez bien pẽſer, que telle iniure me touche ſi auant au cueur, que, ſi ce n’eſtoit le doute que ie fais, s’il eſt vray ou non, vous fuſsiez deſ-ia au fonds de l’eau, pour vous rendre en ſecret la punition du mal, qu’en ſecret m’auez pourchaſſé. Ce gentil-homme ne fut point eſtonné de ſes propos : car ſon innocence le faiſoit conſtamment parler, & le ſupplia luy vouloir dire qui eſtoit ſon accuſateur : car telles paroles ſe doiuent plus iuſtifier auec la lance, qu’auec la langue. Voſtre accuſateur, diſt le Duc, ne porte autres armes que ſa chaſteté, vous aſſeurant que nul que ma femme meſmes ne me l’a dict, me ſuppliant de luy faire vengeance de vous. Le pauure gentil-homme, voyant la grande malice de la dame, ne la voulant toutesfois accuſer, reſpondit : Monſieur, ma dame peult dire ce qu’il luy plaiſt, vous la cognoiſſez mieux que moy, & ſçauez ſi ie l’ay veuë hors de voſtre compagnie, ſi non vne fois qu’elle parla bien peu à moy. Vous auez auſsi bon iugemẽt que prince, qui ſoit en la chreſtienté. Parquoy ie vous ſupplie, monſieur, iugez ſi vous auez iamais veu en moy contenance, qui vous ayt peu engendrer quelque ſoupçon. Si eſt-ce vn feu, qui ne ſe peult tant longuement couurir que quelque fois ne ſoit cogneu de ceux qui ont pareille maladie. Vous ſuppliant, monſieur, croire deux choſes de moy : l’vne, que ie vous ſuis ſi loyal, que quand ma dame voſtre femme ſeroit la plus belle creature du monde, ſi n’auroit amour la puiſſance de mettre tache en mon honneur & fidelité : l’autre eſt, que quand elle ne ſeroit point voſtre femme, c’eſt celle que ie veiz oncques,

dont