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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

voyant ſon mary tel enuers elle qu’elle l’euſt ſceu demander, penſa qu’il eſtoit temps de ſe venger de ſon deſpit ; & embraſſant ſon bon mary, ſe print à pleurer, luy diſant : Helas ! monſieur, le plus grand mal que i’aye, c’eſt de vous veoir tromper de ceux, qui ſont tant obligez à garder voſtre bien & honneur. Le Duc, entendant ceſte parole, eut grand deſir de ſçauoir pourquoy elle diſoit ce propos, & la pria bien fort de luy en declarer ſans crainte, toute la verité. Et apres en auoir faict pluſieurs refus, luy diſt : Ie ne m’esbahiray iamais ſi les eſtrangers font guerres aux princes, quand ceux, qui ſont les plus obligez, l’oſent entreprendre ſi cruelle, que la perte des biens n’eſt rien au pris. Ie le dy, monſieur, pour vn tel gentil-homme (nommant celuy qu’elle hayoit) lequel, eſtant nourry de voſtre main, eſleué & traicté plus en parent & en fils, qu’en ſeruiteur, a osé entreprendre choſe ſi cruelle & miſerable, que de pourchaſſer à faire perdre l’honneur de voſtre femme, ou giſt celuy de voſtre maiſon & de voz enfans. Et combien que longuement m’ait faict des mines tendans à meſchante intention, ſi eſt-ce que mon cueur, qui n’a regardé qu’à vous, n’y pouuoit rien entendre, dont à la fin s’eſt declaré par parole. Ie luy ay faict telle reſponſe, que mon eſtat & chaſteté doit. Ce neantmoins ie luy porte telle hayne, que ie ne le puis regarder. Qui eſt la cauſe de m’auoir faict demeurer en ma chambre, & perdre le bien de voſtre compagnie : vous ſuppliant, monſieur, de ne tenir vne telle peſte aupres de voſtre perſonne. Car apres vn tel crime, craignant que ie vous le die, pourroit bien entreprendre pis. Voila, monſieur, la cauſe de ma douleur, qui me ſemble eſtre treſ-iuſte & digne, que promptement vous plaiſe y donner ordre. Le Duc, qui d’vn coſté aimoit ſa femme, & ſe ſentoit fort iniurié, d’autre coſté aimant ſon ſeruiteur, duquel il auoit tant experimenté la fidelité, qu’à peine pouuoit il croire ceſte menſonge eſtre verité, fut en grand peine : & remply de colere s’en alla en ſa chambre, & manda au gentil-homme qu’il n’euſt plus à ſe trouuer deuant luy, mais qu’il ſe retiraſt à ſon logis pour quelque temps. Le gentil-homme ignorant ceſte occaſion, fut tant ennuyé, qu’il n’eſtoit poſsible de plus, ſçachant auoir merité le cõtraire d’yn ſi mauuais traictemẽt. Et comme celuy qui eſtoit afſſeuré de ſon cueur, & de ſes œuures, enuoya vn ſien compa-

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