Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/414

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLES

roit auoir femme, fille, ſœur, ou mere, deſquelles pour mourir, ie vouluſſe auoir autre penſée, que doit à ſon maiſtre yn loyal & fidele ſeruiteur. La Ducheſſe ne le laiſſa pas paſſer outre : & voyant qu’elle eſtoit en danger d’vn refus deshonnorable, luy rompit ſoudain ſon propos, en luy diſant : O meſchãt glorieux fol, qui eſt ce qui vous en prie ? vous cuidez par voſtre beauté eſtre aimé des mouches, qui volent : mais ſi vous eſtiez ſi outrecuidé ; de vous adreſſer à moy, ie vous monſtrerois que ie n’aime, & ne veux aimer autre que mon mary. Et les propos que ie vous ay tenuz, n’ont eſté que pour paſſer mon temps, & ſçauoir de voz nouuelles, & m’en mocquer, comme ie fais des ſots amoureux. Ma dame (diſt le gentil-homme) ie l’ay creu & croy ; comme vous dictes. Lors ſans eſcouter plus auant s’en alla haſtiuement en ſa chambre, & voyant qu’elle eſtoit ſuyuie des dames, entra en ſon cabinet, ou elle feit vn dueil, qui ne ſe peult raconter : car d’vn coſté l’amour, ou elle auoit failly, luy donna vne triſteſſe mortelle : d’autre coſté, le deſpit tant contre elle, d’auoir commencé vn ſi ſot propos, que contre luy, d’auoir reſpondu ſi ſagement, la mettoit en telle furie, qu’en vne heure ſe vouloit deffaire, l’autre elle vouloit viure, pour ſe venger de celuy, qu’elle tenoit pour ſon mortel ennemy. Apres doncques qu’elle euſt longuement pleuré, feignit eſtre malade, pour n’aller point au ſoupper du Duc, auquel ordinairement le gentil-homme ſeruoit. Le Duc, qui plus aimoit ſa femme que luy meſmes, la vint viſiter. Mais pour mieux venir à la fin qu’elle pretendoit, luy diſt, qu’elle penſoit eſtre groſſe, & que ſa groſſeſſe luy auoit faict tomber vn rheume ſur les yeux, dont elle eſtoit en grãde peine. Ainſi paſſerent deux ou trois iours que la Ducheſſe garda le lict, tant triſte & melencolicque, que le Duc penſa bien qu’il y auoit autre choſe que la groſſeſſe : qui le feit venir la nuict coucher auecques elle. Et luy faiſant toutes les bonnes cheres qu’il luy eſtoit poſsible, cognoiſſant qu’il n’empeſchoit en rien ſes continuels ſouſpirs, luy diſt : M’amie, vous ſçauez que ie vous porte autant d’amour, comme à ma propre vie, & que deffaillant la voſtre, la mienne ne peult durer. Parquoy, ſi voulez conſeruer ma ſanté, je vous prie dictes moy la cauſe, qui vous faict ainſi ſouſpirer : car ie ne puis croire, que tel mal vous vienne ſeulement de groſſeſſe, La Ducheſſe,

voyant