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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

à part, pour le plaiſir. Et apres auoir tenté, par pluſieurs fois, de luy tenir ſemblables propos, que le premier, & ne trouuãt nulle reſponſe à ſon gré, le tira vn iour par la mãche, & luy diſt, qu’elle auoit à parler à luy d’affaires d’importance. Le gẽtil-hõme ; auec la reuerence & humilité qu’il luy deuoit, s’en alla deuers elle en vne feneſtre profonde ou elle s’eſtoit retirée : & quãd elle veid que nul de la chãbre ne la pouuoit veoir, auec vne voix trẽblante entre le deſir & la crainte ; luy va continuer les premiers propos, le reprenant de ce qu’il n’auoit encores choiſi quelque dame en ſa compagnie, l’aſſeurant qu’en quelque lieu que ce fuſt, luy aideroit d’auoir bon traictement. Le gentil-homme, non moins eſtonné que faſché de ſes paroles, luy reſpondit : Ma dame, i’ay le cueur ſi bon, que ſi i’eſtois vne fois refusé, iamais ie n’aurois ioye en ce monde : & ie ſuis tel, qu’il n’y a dame en ceſte court, qui daignaſt accepter mon ſeruice. La Ducheſſe rougiſſant, penſant qu’il ne tenoit plus à rien qu’il ne fuſt vaincu, luy iura, que s’il vouloit, elle ſçauoit la plus belle dame de la compagnie, qui le receüroit à grand ioye, & dont il auroit parfaict contentement. Helas ! ma dame (luy reſpondit il) ie ne croy pas qu’il y ayt ſi malheureuſe & aueuglée femme en ceſte honneſte compagnie, qui me ait trouué à ſon gré. La Ducheſſe, voyant qu’il ne la vouloit entendre, luy va entr’ouurir le voile de ſa paſsion, & pour la crainte que luy donnoit la vertu du gentil-homme, parla par maniere d’interrogation, luy diſant : Si fortune vous auoit tãt fauorisé, que ce fuſt moy, qui vous portaſt ceſte bonne volonté, que diriez vous ? Le gentil-homme, qui penſoit ſonger, d’ouyr vne telle parole, luy diſt le genoil à terre : Madame, quand Dieu me fera la grace d’auoir celle du Duc, mon maiſtre, & de vous, ie me tiẽdray le plus heureux du monde : car c’eſt la recompenſe que ie demande de mon loyal ſeruice, comme celuy qui eſt obligé, plus que nul autre, de mettre la vie pour le ſeruice de vous deux : eſtant ſeur (ma dame) que l’amour, que vous portez à mondict ſeigneur, eſt accompagné de telle chaſteté & grandeur, que non pas moy, qui ne ſuis qu’vn verm de terre, mais le plus grand prince & parfaict homme, que lon ſçauroit trouuer, ne pourroit empeſcher l’vnion de vous & de mondict ſeigneur. Et quant à moy, il m’a nourry des mon enfance, & m’a faict tel que ie ſuis. Parquoy il ne ſçau-

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