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LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLES

vertu, ne pouuoit cognoiſtre le vice en vne dame, qui en auoit ſi peu d’occaſion : tellement que les œillades & mines de ceſte pauure folle, n’apportoiẽt autre fruict, qu’vn furieux deſeſpoir. Lequel vn iour la preſſa tant, que oubliant qu’elle eſtoit femme qui deuoit eſtre priée, & refuſer, princeſſe qui deuoit eſtre adorée, & deſdaigner tels ſeruiteurs, print le cueur d’vn homme tranſporté, pour deſcharger ce qui eſtoit en elle importable : & ainſi que ſon mary ſ’en alloit au conſeil, ou le gentil-homme pour ſa ieuneſſe n’entroit point, luy feit ſigne qu’il vint vers elle : ce qu’il feit, penſant quelle euſt quelque choſe à luy commander, mais en ſouſpirant ſus ſon bras, comme femme laſſe de trop de repos, le mena promener en vne gallerie, ou elle luy diſt : Ie m’esbahis de vous, qui eſtes tant beau, ieune, & plein de toutes bonnes graces, comme vous auez veſcu en ceſte compagnie, ou il y a ſi grand nombre de belles dames, ſans que iamais vous ayez eſté amoureux, ou ſeruiteur d’aucune. Et en le regardant du meilleur œil, qu’elle pouuoit, ſe teut, pour luy donner lieu de dire. Ma dame (diſt-il) ſi i’eſtois digne, que voſtre hauteſſe ſe peuſt abbaiſſer en moy, ce vous ſeroit plus d’occaſion d’esbahiſſement, de veoir vn homme ſi indigne que moy, preſenter ſon ſeruice, pour en rapporter refus ou mocquerie. La Ducheſſe, oyant ceſte ſage reſponſe, l’aima plus fort que parauất, & luy iura, qu’il n’y auoit dame en ſa court, qui ne fuſt trop heureuſe, d’auoir vn tel ſeruiteur, & qu’il ſe pouuoit biẽ eſſayer à telle auanture : car ſans peril il en ſortiroit à ſon honneur. Le gentil-hõme tenoit touſiours les yeux baiſſez, n’oſant regarder ſes contenãces, qui eſtoient aſſez ardẽtes pour faire bruſler vne glace. Et ainſi qu’il vouloit ſ’excuſer, le Duc manda la Ducheſſe au conſeil, pour quelque affaire, qui luy touchoit, ou auec vn grand regret elle alla : mais le gentil-homme ne feit iamais ſemblant d’auoir entẽdu vn ſeul mot, qu’elle luy euſt dict. Dont elle ſe ſentoit ſi troublée & faſchée, qu’elle ne ſçauoit à qui donner le tort de ſon ennuy, ſinon à la ſotte crainte dont elle eſtimoit le gentil-hõme trop plein. Peu de iours apres, voyant qu’il n’entendoit ſon langage, ſe delibera de ne regarder crainte ny honte, mais luy declarer ſa fantaſie, ſe tenãt ſeure, qu’vne telle beauté, que la ſienne, ne pouuoit eſtre que bien receuë : mais euſt biẽ deſiré, d’auoir l’honneur d’eſtre priée : toutesfois, laiſſa l’hõneur

à part,