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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

hommes, pour leur nobleſſe ou richeſſes, mais ſelon qu’il plaiſt à ſa bonté, qui n’eſt point accepteur de perſonne, lequel eſlit ce qu’il veult. Car ce qu’il a eſleu, l’honore de ſes vertuz, & le couronne de ſa gloire. Et ſouuent eſlit choſes baſſes, pour confondre celles que le monde eſtime haultes & honorables. Comme luy meſme dict, ne nous reſiouïſſons point en noz vertuz : mais en ce que nous ſommes eſcriptz au liure de vie. Il n’y eut dame en la compaignie, qui n’eut la larme à l’œil, pour la compaſſion de la piteuſe & glorieuſe mort de ceſte muletiere. Chacune penſoit en elle meſme, que ſi la fortune leur aduenoit pareille, elle mettroit peine de l’enſuiure en ſon martyre. Et voyant ma dame Oiſille, que le temps ſe perdoit parmy les louanges de ceſte treſpaſſée, diſt à Saffredant. Si vous ne dictes quelque choſe pour faire rire la compaignie, ie ne ſçay nulle d’entre nous, qui puiſſe oublier la faulte que i’ay faicte de la faire pleurer : parquoy ie vous donne ma voix. Saffredant qui euſt bien deſiré dire quelque choſe de bon, & qui euſt eſté aggreable à la compaignie, & ſur toutes à vne, diſt que lon luy faiſoit tort, veu qu’il y en auoit de plus anciens experimentez que luy, qui debuoient parler les premiers : Mais puis que ſon ſort eſtoit tel, il aimoit mieulx ſ’en depeſcher. Car plus yen auoit de bien parlans, & plus ſon compte ſeroit trouué mauuais.



Vn Roy de Naples abuſant de la femme d’vn gentil-homme, porte enfin luy meſme les cornes.


NOVVELLE TROISIESME.



Povr ce, mes dames (diſt Saffredant) que ie me ſuis ſouuent ſouhaitté compaignon de la fortune de celuy dont ie vous veulx faire le compte : Ie vous diray qu’en la ville de Naples, du temps du Roy Alfonce, duquel la laſciueté eſtoit le ſeptre de ſon royaume, y auoit vn gentil homme tant honneſte, beau, & agreable, que pour ſes perfections vn vieil gentil-homme luy donna ſa fille, laquelle en beauté & bonne grace ne deuoit rien à ſon mary. L’amitié fut grande entre eulx