Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

les mena en ſa pauure maiſonnette, & leur monſtra dequoy elle viuoit durant ſa miſerable demeure. Ce qui leur euſt eſté incroyable ſans la cognoiſſance qu’ils auoient, que Dieu eſt autãt puiſſant de nourrir en vn deſert, ſes ſeruiteurs, cõme aux plus grands feſtins du monde. Et quand ils eurent faict entendre aux habitans la fidelité & perſeuerance de ceſte femme, elle fut receuë à grand honneur de toutes les dames, qui volontiers luy baillerent leurs filles pour aprendre à lire, & à eſcrire. Et à ceſt honneſte meſtier lá, gaigna le ſurplus de ſa vie, n’ayant autre deſir, que d’exhorter vn chacun à l’amour & confiance de noſtre ſeigneur, le propoſant pour exemple, pour la grande miſericorde dont il auoit vsé enuers elle.

À ceſte heure, mes dames, ne pouuez vous pas dire, que ie ne louë bien les vertuz, que Dieu a miſes en vous, leſquelles ſe monſtrent d’autant plus grandes, que le ſubiect eſt plus infirme. Nous ne ſommes pas marries, diſt Oiſille, de ce que vous louëz les graces de noſtre ſeigneur en nous : car à dire vray, toute vertu vient de luy : mais il fault paſſer condamnation, que auſsi peu fauoriſe l’homme à l’ouurage de Dieu, que la femme : car l’vn & l’autre par ſon courir, ny par ſon vouloir ne faict rien que planter, & Dieu donne l’accroiſſement. Si vous auez bien leu l’eſcriture, diſt Saffredent, ſainct Paul dit, qu’Apollo a planté, & qu’il a arrousé : mais il ne parle point, que les femmes ayent mis les mains à l’ouurage de Dieu. Vous voudriez ſuyure, diſt Parlamente, l’opinion des mauuais hommes, qui prennent vn paſſage de l’eſcriture pour eux, & laiſſent celuy qui leur eſt contraire. Si vous auez leu ſainct Paul iuſques au bout, vous trouuerez qu’il ſe recommande aux dames, qui ont beaucoup labouré auecques luy en l’Euangile. Quoy qu’il y ayt, diſt Longarine, ceſte femme eſt digne de bien grande louënge, tant pour l’amour qu’elle a portée à ſon mary, pour lequel elle a hazardé ſa vie, que pour la foy qu’elle a euë en Dieu, lequel (comme nous voyons) ne l’a pas abandonnée. Ie croy, diſt Emarſuitte, quant au premier, qu’il n’y a femme icy, qui n’en vouſiſt faire autant pour ſauuer la vie de ſon mary. Ie croy, diſt Parlamente, qu’il y a des mariz, qui ſont ſi beſtes, que celles, qui viuẽt auec eux, ne doiuent point trouuer eſtrãge de viure auec leurs ſemblables. Emarſuitte ne ſe peult tenir de dire, comme prenant le

Cc ij