Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLES

Dont le regret faict que ne m’en puis taire,
Et me contrainct de changer mon office,
Faiſant celuy dont as vsé ſans vice :
C’eſt, requerir celuy dont fus requiſe,
Et d’acquerir celuy dont fus acquiſe.
Or donc, amy, la vie de ma vie,
Lequel perdant, n’ay plus de viure enuie :
Las ! plaiſe toy vers moy tes yeux tourner,
Et du chemin, ou tu es, retourner.
Laiſſe le gris & ſon auſterité,
Vien receuoir ceſte felicitè,
Qui tant de fois fut par toy deſirée.
Le temps ne l’a deffaicte ou empirée :
C’eſt pour toy ſeul que gardée me ſuis,
Et ſans lequel plus viure ie ne puis.
Retourne donc, vueille t’amie croire,
Refraichiſſant la plaiſante memoire
Du temps paẞé par vn ſainct mariage.
Croy moy, amy, & non point ton courage,
Et ſois certain qu’oncques ie n’ay pensé
De faire rien ou tu fuſſe offensé :
Mais eſperois te rendre contenté
Apres t’auoir bien experimenté.
Or ay-ie faict de toy experience :
Ta fermeté, ta foy, ta patience,
Et ton amour, ſont cogneuz, clairement,
Qui m’ont acquiſe à toy entierement.
Vien donc, amy, prendre ce qui eſt tien :
Ie ſuis à toy, ſois doncques du tout mien.

Ceſte epiſtre portée par vn ſien amy, auec toutes les remontrances, qu’il fut poſsible de faire, fut receuë & leuë du gentil-

homme.