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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

temps lá, n’eut aucunes nouuelles de ſa dame, ne de ſes parens. Parquoy print reſolution, puis qu’il auoit failly à la vie la plus heureuſe qu’il euſt peu eſperer, de prendre & choiſir la plus auſtere & deſagreable, qu’il pourroit imaginer : & auecques ceſte triſte pensée, qui ſe pouuoit nommer deſeſpoir, s’en alla rendre religieux en vn monaſtere de ſainct François, non loing de pluſieurs de ſes parens : leſquels entendans ſon deſeſpoir, feirent tout leur effort d’empeſcher ſa deliberation : mais elle eſtoit ſi fermement fondée en ſon cueur, qu’il n’y eut ordre de l’en diuertir. Toutesfois cognoiſſant dont le mal eſtoit venu, penſerent de chercher la medecine, & allerent vers celle, qui eſtoit cauſe de ceſte ſoudaine deuotion : laquelle fort eſtonnée & marrie de ceſt inconuenient, penſant que ſon refus pour quelque temps, luy ſeruiroit ſeulement d’experimenter ſa bonne volonté, & non de la perdre pour iamais, dont elle voyoit le danger euident, luy enuoya vne epiſtre, laquelle mal traduicte, dict ainſi :

Pource qu’amour, sil n’eſt bien eſprouué,
Ferme & loyal ne peuſt eſtre approuué,
I’ay bien voulu par le temps eſprouuer,
Ce que i’ay tant deſiré de trouuer :
C’eſt, vn mary remply d’amour parfaict,
Qui par le temps ne peuſt eſtre deffaict.
Cela me feit requerir mes parens
De retarder, pour vn ou pour deux ans,
Ce grand lien, qui iuſqu’à la mort dure,
Qui à pluſieurs engendre peine dure.
De vous auoir ie ne feis pas refus,
Certes iamais de tel vouloir ne fus :
Car oncques nul, que vous, ne ſceu aimer,
Ny pour mary & ſeigneur eſtimer.
O quel malheur, amy, ay-ie entendu,
Que ſans parler à nully t’es rendu
En vn conuent, & vie trop auſtere ?

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