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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

cte, ne fut point ſa malice apperceuë, iuſques à ce que ſa maiſtreſſe fut couchée auec vne petite garſe d’vnze à douze ans. Ainſi que la pauure femme eſtoit à ſon premier ſommeil, entra ce varlet par ledict aiz qu’il auoit rompu dedãs ſon lict tout en chemiſe, l’eſpée nuë en ſa main. Mais auſsi toſt qu’elle le ſentit pres d’elle, ſaillie dehors du lict en luy faiſant toutes les remonſtrances, qu’il fut poſsible à femme de bien de luy faire. Et luy qui n’auoit amour que beſtial, & qui euſt mieux entendu le langage des mulets, que ſes honneſtes raiſons, ſe monſtra plus beſtial que les beſtes, auec leſquelles il auoit eſté long temps. Car en voyant qu’elle couroit ſi toſt à l’entour d’vne table, qu’il ne la pouuoit prendre, & auſsi qu’elle eſtoit ſi forte, que par deux fois elle s’eſtoit deffaicte de luy, deſeſperé de iamais ne la pouuoir auoir viue, luy donna vn grãd coup d’eſpée par les rains, penſant que ſi la peur & la force ne l’auoient peu faire rendre, la douleur le feroit. Mais ce fut au contraire. Car tout ainſi, qu’vn bõ gendarme voyãt ſon ſang eſt plus eſchauffé à ſe venger de ſes ennemis, & à acquerir honneur : ainſi ſon chaſte cueur ſe renforça doublement à courir & fuir des mains de ce malheureux, en luy tenant les meilleurs propos qu’elle pouuoit, pour cuider par quelque moyẽ le reduire à recognoiſtre ſes faultes. Mais il eſtoit ſi embraſé de fureur, qu’il n’y auoit en luy lieu pour receuoir nul bon conſeil, & luy donna encores pluſieurs coups. Pour leſquels euiter, tant que les iambes la peurent porter couroit touſiours. Et quand à force de perdre ſon ſang, elle ſentit qu’elle aprochoit de la mort, leuãt les yeux au ciel, & ioignant les mains, rendit graces à ſon Dieu, lequel elle nommoit ſa force, ſa vertu, ſa patience & chaſteté, luy ſuppliant prendre en gré le ſang, qui pour ſon commandement eſtoit reſpandu en la reuerence de celuy de ſon fils, auquel elle croyoit fermement tous ſes pechez eſtre lauez, & effacez de la memoire de ſon ire. Et en diſant : Seigneur receuez l’ame qui par voſtre bonté a eſté racheptée, tomba en terre ſur le viſage, ou ce meſchant luy donna pluſieurs coups. Et apres qu’elle eut perdu la parolle, & la force du corps, ce malheureux print par force celle qui n’auoit plus de defence en elle. Et quand il eut ſatisfaict à ſa meſchante concupiſcence, s’enfuit ſi haſtiuement, que iamais depuis quelque pourſuitte que lon en ait faicte, n’a

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