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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

au contraire : & qui nous ſeparera, fera grand peché : car le bon homme, qui a bien pres de quatre vintgs ans, ne viura plus gueres ſans moy, qui en ay quarantecinq. Vous pouuez penſer cõme ces dames ſe peurent tenir, & les remonſtrances q̃ chacune luy feit, voyãt l’obſtinatiõ, ꝗ à l’heure n’eſtoit amollie par paroles, que lon luy diſt, pour aage qu’elle euſt, ne pour l’honorable cõpagnie. Et pour l’humilier plus fort, enuoyerẽt querir le bõ Archediacre d’Authun, qui la cõdemna d’eſtre en priſon vn an au pain & à l’eau. Et les dames enuoyerent querir ſon mary, lequel, pour leur bon enhortement, fut content la reprendre, apres qu’elle auroit faict ſa penitẽce. Mais ſe voyant priſonniere, & le chanoine deliberé de iamais plus la reprendre, remerciant les dames de ce qu’elles luy auoyẽt iecté vn diable hors de deſſus les eſpaules, eut vne ſi grande & parfaicte contrition, que ſon mary, au lieu d’attẽdre le bout de l’année à la reprẽdre, n’attendit pas quinze iours, qu’il ne la vint demander à l’Archediacre, & depuis ont veſcu en bonne paix & amytié.

Voyla, mes dames, comme les chaiſnes ſainct Pierre ſont cõuerties par les mauuais miniſtres, en celles de ſathan, & ſi fortes à rompre, que les ſacrements, qui chaſſent les diables du corps, ſont à ceux cy les moyens de les faire plus lõguement demeurer en leurs conſciences. Car les meilleures choſes ſont celles, quand on en abuſe, dont lon faict plus de maulx. Vrayement, diſt Oiſille, ceſte femme eſtoit bien mal-heureuſe : mais auſsi fut elle bien punie de venir deuant tels iuges, comme les dames que vous auez nommées : car le regard ſeul de ma dame la regente eſtoit de telle vertu, qu’il n’y auoit ſi femme de bien qui ne craignit de ſe trouuer deuãt ſes yeux, & qui ne ſ’eſtimaſt indigne de ſa veuë. Car la regardant doulcement, ſ’eſtimoit meriter grand honneur, ſçachant que femmes autres que vertueuſes ne pouuoit ceſte dame regarder de bon cueur. Si eſt il meilleur, diſt Hircan, que lon ayt plus de craincte du ſainct ſacrement (lequel n’eſtant receu en foy, & charité, eſt en damnation eternelle) que des yeux d’vne femme. Ie vous promets, diſt Parlamente, que ceux, qui ne ſont point inſpirez, craignent plus les puiſſances temporelles que les ſpirituelles. Encores ie croy que ceſte pauure creature ſe chaſtia plus par la priſon, & pour l’opinion de ne veoir plus ſon chanoine, qu’elle ne feit

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