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LA VII. IOVRNEE DES NOVVELLES

le gloire d’auoir vn tel amy, qu’elle ſe mettoit à l’egliſe deuant la plus part des plus femmes de bien de la ville, tant femmes d’officiers que autres, & eut des enfans du chanoine, & entre autres vne fille, qui fut mariée à vn riche marchand, & ſi gorgiaſe à ſes nopces, que toutes les femmes de la ville en murmuroient tresfort, mais n’auoient pas la puiſſance d’y mettre ordre. Or aduint qu’en ce temps lá, la Royne Claude, femme du Roy François, paſſa par la ville d’Authun, ayant en ſa compagnie, ma dame la regente mere du Roy, & la Ducheſſe d’Alençon ſa fille. Vint lors vne femme de chambre nommée Perrette, qui trouua ladicte Ducheſſe, & luy diſt : Ma dame, ie vous ſupplie eſcoutez moy, & vous ferez œuure auſsi ou plus grande, que d’aller ouyr tout le ſeruice du iour. La Ducheſſe s’arreſta volontiers, ſçachant que d’elle ne pouuoit venir que bon conſeil. Perrette luy alla compter incontinent, comme elle auoit prins vne petite fille pour luy aider à ſauonner le linge de la Royne : & en luy demandant des nouuelles de la ville, luy compta la peine qu’auoient les femmes de bien, de veoir ainſi aller deuãt elles la femme de ce chanoine, laquelle luy compta vne partie de ſa vie. Tout ſoudain s’en alla ladicte Ducheſſe à la Royne, & à ma dame la regente, & leur racompta ceſte hiſtoire : qui, ſans autre forme de proces, enuoyerent querir ceſte pauure malheureuſe, laquelle ne ſe cachoit point : car elle auoit changé ſa honte en gloire, d’eſtre dame de la maiſon d’vn ſi riche homme, & ſans eſtre eſtonnée & honteuſe ſe vint preſenter deuant leſdictes dames : qui auoient ſi grand honte de ſa hardieſſe, que ſoudain elles ne luy ſceurent que dire. Mais apres ma dame la regente luy feit de telles remonſtrances, qu’elles deuſſent auoir faict plorer vne femme de bon entendement. Ce que ne feit ceſte pauure femme : mais d’vne audace treſgrande leur diſt : Ie vous ſupplie, mes dames, que vous vouliez garder, que lon ne touche point à mon honneur. Car, Dieu mercy, i’ay veſcu auec monſieur le chanoine ſi bien & vertueuſement, qu’il n’y a perſonne viuant, qui m’en ſceuſt reprendre. Et ſi ne fault point que lon pẽſe que ie viue contre la volonté de Dieu : car il y a trois ans qu’il ne me fut rien, & viuons auſsi chaſtement, & en auſsi grande amour, que deux beaux petits anges, ſans que iamais entre nous deux il y ayt eu parole ne volonté

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