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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſoit la iuſtice, ſa femme alloit à l’egliſe prier Dieu pour luy. Et tant frequenta le lieu ſainct, qu’vn chanoine fort riche, fut amoureux d’elle : & la pourſuiuit ſi fort, qu’en fin la pauure malheureuſe luy accorda : dont le mary n’auoit nul ſoupçon, & penſoit plus à garder ſon bien, que ſa femme. Et quand ce vint au departir, & qu’il falloit retourner en la maiſon, qui eſtoit loing de la ville de ſept grandes lieuës, ce ne fut pas ſans vn grand regret : mais le chanoine luy promiſt de l’aller ſouuent viſiter : ce qu’il feit, feignant aller en quelque voyage, ou ſon chemin s’adreſſoit touſiours par la maiſon de ceſt homme, qui ne fut pas ſi ſot, qu’il ne s’en apperceuſt, & y donna ſi bon ordre que quand le chanoine y venoit, il n’y trouuoit plus ſa femme, mais la faiſoit ſi bien cacher, qu’il ne pouuoit parler à elle. La femme cognoiſſant la ialouſie de ſon mary, ne feit ſemblant qu’il luy deſpleuſt : toutesfois ſi penſa elle qu’elle y donneroit biẽ ordre : car elle eſtimoit vn enfer, de perdre la viſion de ſon Dieu. Vn iour que ſon mary eſtoit hors de ſa maiſon, empeſcha ſi bien les chambrieres & varlets, qu’elle y demeura ſeule : incontinẽt print ce qui luy eſtoit neceſſaire, & ſans nulle compagnie, que de la folle amour, s’en alla de ſon pied à Authun, ou elle n’arriua pas ſi tard, qu’elle ne fuſt biẽ recogneuë de ſon chanoine, qui la tint enfermée & cachée plus d’vn an, quelques monitions & excommunications qu’en feiſt ietter ſon mary. Lequel ne trouuant meilleur remede, en feit la plaincte à l’Eueſque, qui auoit vn Archediacre autãt homme de bien, qu’il y en euſt en France. Et luy meſmes chercha ſi diligemment toutes les maiſons des chanoines, qu’il trouua celle que lon tenoit perduë, laquelle il meit en priſon, & condamna le chanoine en groſſe penitence. Le mary, ſçachant que ſa femme eſtoit retrouuée par la monition du bon Archediacre, & de pluſieurs gens de bien, fut cõtent de la reprendre auec les fermẽts, qu’elle luy feiſt de viure le temps aduenir en femme de bien. Ce que le bon homme creut volontiers, pour la grande amour qu’il luy portoit, & la mena en ſa maiſon, la traictant auſsi honneſtement qu’au parauant, ſinon qu’il luy bailla deux vieilles chambrieres, qui iamais ne la laiſſoient ſeule, que l’vne des deux ne fuſt auec elle. Mais quelque bonne chere, que luy feiſt ſon mary, la meſchante amour, qu’elle portoit au chanoine, luy faiſoit

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