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LA VI. IOVRNEE DES NOVVELLES

ſeuelie ceſte pauure malheureuſe, par vne chambriere, qui ſe gardoit bien de luy faire mal, & puis auecques belles torches, fut portée iuſques à la foſſe, que le chantre auoit faict faire. Et quand le corps paſſa par deuant celles qui auoient aſsiſté à la veoir mettre à l’vnction, elles ſaillirent toutes de leurs maiſons, & l’accompagnerent iuſques à la terre, ou bien toſt la laiſſerent femmes & preſtres : mais le chantre ne s’en alla pas. Car incontinent qu’il veid la compagnie aſſez loing, luy & ſon autre chambriere deffeirent la foſſe, d’ou il retira l’amie, plus viue que iamais, & l’emmena ſecrettemẽt en ſa maiſon, ou il la tint longuement cachée. Le mary, qui la pourſuyuoit, vint iuſques à Bloys demander iuſtice, & trouua qu’elle eſtoit morte & enterrée, par l’atteſtation de toutes les dames de Bloys, qui luy compterent la belle fin qu’elle auoit faicte, dont le bon homme fut bien ioyeux, croyant que l’ame de ſa femme eſtoit en paradis. Et luy, depeſché d’vn ſi meſchant corps, & auec ce contentement, retourna à Paris, ou il ſe maria, auec vne belle & honneſte ieune femme de bien, & bonne meſnagere, de laquelle il eut pluſieurs enfans, & demeurerent enſemble quatorze ou quinze ans. Mais à la fin la renommée, qui ne peult rien celer, le vint aduertir, que ſa femme n’eſtoit point morte, ains demeuroit auec ce meſchant preſtre. Choſe, que le pauure homme diſsimula tant qu’il peult, feignant de n’en rien ſçauoir, & deſirant que ce fuſt vne menſonge : mais ſa femme, qui eſtoit ſage, en fut aduertie, dont elle portoit vne ſi grande angoiſſe, qu’elle en cuida mourir d’ennuy. Et ſ’il euſt eſté poſsible, ſa conſcience ſauue, euſt volontiers diſsimulé ſa fortune : mais il luy fut impoſſible. Car incontinent l’egliſe y voulut mettre la main : & pour le premier les ſepara tous deux, iuſques à ce que lon ſceuſt la verité du faict. Alors fut contrainct ce pauure homme de laiſſer la bonne, pour chercher la mauuaiſe, & vint à Bloys vn peu apres que le Roy François premier fut Roy, auquel lieu trouua la Royne Claude, & ma dame la Regente, deuant leſquelles vint faire ſa plaincte, demandant celle qu’il euſt bien voulu ne trouuer point : mais force luy eſtoit, dont il faiſoit pitié à toute la compagnie. Et quand ſa femme luy fut preſentée, elle voulut longuement ſouſtenir, qu’il n’eſtoit

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