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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

oy de ſon mari. Ledict oncle, comme bon vieillard ſeruiteur, s’en alla au chancellier d’Alençon, & luy compta toute l’hiſtoire. Et pource que le Duc & la Ducheſſe d’Alençon n’eſtoient point ce iour à la court, ledict chancelier alla compter ce cas eſtrange à ma dame la regente mere du Roy, & à la Ducheſſe, qui ſoudainement enuoya querir le preuoſt de Paris nommé la Barre, lequel feiſt ſi bonne diligence, qu’il print le procureur & Gallery ſon inuocateur, leſquels ſans gehenne & contraincte, confeſſerent librement la debte, & fut leur proces faict & rapporté au roy. Quelques vns voulans ſauuer leur vie, luy dirent qu’ils ne cherchoient que ſa bonne grace en leurs enchantements. Mais le Roy ayant la vie de ſa ſœur auſsi chere que la ſienne, commanda que lon donnaſt la ſentence telle, que s’ils l’euſſent attenté à ſa perſonne propre ! Toutesfois ſa ſœur la Ducheſſe d’Alençon, le ſupplia que la vie fuſt ſauuée audict procureur, & de commuer ſa mort en quelque autre griefue peine corporelle. Ce qui luy fut octroyé, & furent luy & Gallery enuoyez à Marſeille aux galleres de ſainct Blanquart, ou ils finerent leurs iours en grande captiuité, & eurent loiſir de recongnoiſtre la grauité de leurs pechez. Et la mauuaiſe femme en l’abſence de ſon mari, continua ſon peché plus que iamais, & mourut miſerablement.

Ie vous ſupplie, mes dames, regardez quel mal il vient pour vne meſchante femme, combien de maulx ſe feirent par le peché de ceſte cy. Vous trouuerez que depuis que Eue feit pecher Adam, toutes les femmes ont prins poſſeſsion de tourmenter, tuer, & damner les hommes. Quand eſt de moy i’en ay tant experimenté la cruaulté, que ie ne penſe iamais mourir que par le deſeſpoir enquoy vne m’a mis. Et ſuis encores ſi fol que fault que ie confeſſe que ceſt enfer lá, m’eſt plus plaiſant venãt de ſa main, que le paradis donné de celle d’vn autre. Parlamente faignant n’entendre point que ce fuſt pour elle qu’il tenoit tels propos, luy diſt : Puis que l’enfer eſt auſsi plaiſant que vous dictes, vous ne debuez point craindre le diable qui vous y a mis. Mais il luy reſpondit en colere : Si mon diable deuenoit auſsi noir quil m’a eſté mauuais, il feroit autãt de peur à la cõpaignie, que ie prends plaiſir à le regarder. Mais le feu de l’amour me faict oublier celuy de ceſt enfer. Et pour n’en par-

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