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LA VI. IOVRNEE DES NOVVELLES

ce de ſa cruelle main. Et pource que iamais ie n’auois eu ne ay eu depuis plus grande priuauté d’elle, ie attachay ce gand comme l’emplaſtre la plus propre que ie puis donner à mon cueur. Et l’ay aorné de toutes les plus belles bagues que i’auois, combien que les richeſſes viennent du gand, que ie ne donnerois pour le Royaume d’Angleterre. Car ie n’ay bien en ce monde que i’eſtime tant, que de le ſentir ſur mõ eſtomach. Le ſeigneur de Montmorẽcy, qui euſt mieux aimé la main que le gand d’vne dame, luy loüa fort ceſte grande honneſteté, luy diſant qu’il eſtoit le plus vray amoureux qu’il euſt iamais veu, puis que de ſi peu, il faiſoit tant de cas, combien que veu ſa grande amour, s’il euſt eu mieux que le gand peult evtre qu’il fuſt mort de ioye Ce qu’il accorda au ſeigneur de Montmorency, ne ſoupçonnãt point qu’il le diſt par mocquerie.

Si tous les hommes du monde eſtoient de telle honneſteté, les dames s’y pourroient bien fier, quand il ne leur en couſteroit que le gand. I’ay ſi bien cogneu le ſeigneur de Montmorency dont vous parlez, diſt Guebron, que ie ſuis ſeur, qu’il n’euſt point voulu viure en telle angoiſſe, & s’il ſe fuſt contenté de ſi peu, il n’euſt pas eu les bonnes fortunes qu’il a euës en amour. Car la vieille chanſon dict : Iamais d’amoureux coüart n’oyez bien dire. Penſez, diſt Saffredent, que ceſte pauure dame retira ſa main bien haſtiuement, quand elle ſentit que le cueur luy debattoit ainſi : car elle cuydoit qu’il deuſt treſpaſſer, & lon diſt, qu’il n’y a rien que les femmes hayent plus, que de toucher les morts. Si vous auiez autãt hanté les hoſpitaux que les tauernes, diſt Emarſuitte, vous ne tiendriez pas ce langage : car vous verriez celles qui enſeueliſſent les treſpaſſez, que ſouuẽt les hõmes, quelques hardiz qu’ils ſoient, craignent approcher. Il eſt vray, diſt Simontault, qu’il n’y a nul, à qui lon donne penitence, qui n’ayt faict le rebours de ce à quoy il a prins plaiſir : comme vne damoiſelle que ie vis en vne bonne maiſon, qui pour ſatisfaire au plaiſir qu’elle auoit eu à baiſer quelqu’vn qu’elle aimoit, fut trouuée au matin à quatre heures baiſant le corps mort d’vn gentil-homme, qui auoit eſté tué le jour de deuant, lequel elle n’auoit pas moins aimé que l’autre, & à l’heure chacun cogneut que c’eſtoit penitence des plaiſirs paſſez. Voila, diſt Oiſille, cõme toutes bonnes œuures, que les femmes font,

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