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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

le priant de regarder ſi c’eſtoit cas qui meritaſt grace, & luy diſant que le Duc d’Alençon auoit ſeul ce priuilege en ſon royaume de donner grace en ſa duché. Mais pour toutes ſes excuſes n’appaiſa point le Roy d’Angleterre, lequel le pourchaſſa ſi treſinſtamment, qu’à la fin le procureur l’eut à ſa requeſte, & retourna en ſa maiſon. Or pour acheuer ſa meſchanceté, s’accointa d’vn inuocateur nommé Gallery, eſperant que par ſon art il ſeroit exempt de payer leſdicts quinze cens eſcuz, qu’il deuoit au pere du treſpaſſé. Et pour ce faire s’en allerent à Paris deſguiſez, ſa femme & lui. Et voyãt ſa dicte femme qu’il eſtoit ſi longuement enfermé en vne chambre auecques le dict Gallery & qu’il ne luy diſoit point la raiſon pourquoy, vn matin elle l’eſpia, & veit que ledict Gallery luy monſtroit cinq images de bois, dont les trois auoient les mains pendantes, & les deux leuées contremont. Et parlant au procureur, luy diſoit : il nous fault faire de telles images de cire que ceux-cy, & celles qui auront les bras pendans, ſeront ceux que nous ferõs mourir. Et ceux qui les eſleuent, ſeront ceux que qui voudrons auoir la bonne grace & amour. Et le procureur diſoit : ceſte cy ſera pour le Roy, de qui ie veux eſtre aymé, & ceſte cy pour monſieur le chancelier d’Alençon Brinon. Gallery luy diſt : Il fault mettre les images ſoubs l’autel ou ils oyront leur meſſe, auecques des parolles, que ie vous feray dire à l’heure. Et en parlant de celles qui auoient les bras baiſſez, diſt le procureur que l’vne eſtoit pour maiſtre Gilles du Meſnil pere du treſpaſsé. Car il ſçauoit bien, que tant qu’il viuroit, il ne ceſſeroit de le pourſuyre. Et vne des femmes qui auoient les mains pendantes, eſtoit pour ma dame la Ducheſſe d’Alençon ſœur du Roy, parce qu’elle aimoit tant ce vieil ſeruiteur du Meſnil, & auoit en tant d’autres choſes cogneu la meſchanceté du procureur, que ſi elle ne mouroit, il ne pourroit viure. La ſeconde femme ayant les bras pendans, eſtoit pour la femme, laquelle eſtoit cauſe de tout ſon mal, & ſe tenoit ſeur que iamais n’amẽderoit ſa meſchante vie. Quand ſa femme qui voioit tout par le pertuis de la porte, entendit qu’il la mettoit au reng des treſpaſſez, ſe penſa qu’elle luy enuiroit le premier. Et faignant d’aller emprunter de l’argent, à vn ſien oncle, maiſtre des requeſtes, dudict Duc d’Alançon, luy va compter ce qu’elle avoit veu &

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