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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

rendre compte à Dieu ? Ie croy, qu’ils mettent fi bien leurs affections en leurs richeſſes, que s’ils les pouuoient emporter auecques eux, ils le feroient volontiers : mais c’eſt l’heure ou le ſeigneur leur faict ſentir plus griefuement foniugemet, que à l’heure de la mort : car tout ce qu’ils ont faict, tout le temps de leur vie, bien ou mal, en vn inſtant ſe reprefente deuant eux. C’eſt l’heure ou les liures de noz conſciences font ouuerts, & ou chacun peult y veoir le bien & le mal qu’il a faict : car les eſprits malings ne laiſſent rien, qu’ils ne propoſent au pecheur, ou pour l’induire à vne prefumption d’auoir bien vefcu, ou à vne deffiance de la mifericorde de Dieu, à fin de les faire trebucher du droit chemin. Il me ſemble, Hircan, dift Nomerfide, que vous fçauez quelque hiſtoire à ce propos le vous prie, fi la penſez digne de ceſte compagnie, qu’il vous plaiſe nous la dire. le le veux bien, dift Hircan, & combien qu’il me fafche de copter quelque choſe à leur defauantage, fi eſt-ce que, veu que nous n’auons efpargné, ny Roys, ny Ducs, ny Comtes, ny Barons, ceux icy ne ſe douent tenir offenſez, fi nous les mettons au rang de tant de gens de bien : mefmes que nous ne parlons que des vicieux. Car nous fçauons qu’il y a de gens de bien en tous eftats, & que les bons ne doiuent eftre intereffez pour les mauuais. Laiffons doncques ces propos, & donnons commencement à noftre hiſtoire.


Vn cordelier marie frauduleuſement vn autre cordelier ſon compagnon à une belle ieune damoiſelle, dont ils font puis apres tous deux puniz.


NOVVELLE CINQVANTESIXIESME.



En la ville de Padoue paſſa vne dame Frăçoife, à laquelle fut rapporté, que dedans les priſons de l’Euefché y auoit vn cordelier : & s’enquerant de l’occaſion, pource qu’elle voyoit, que chacun en parloit par mocquerie, luy fut dict, que ce cordelier, homme ancien, eftoit confeſſeur d’vne fort honefte dame & deuote, demeurée vefue, qui n’auoit que

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