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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

condition que ie peins icy, que vous eſtimez bien des plus honneſtes femmes du païs. Croyez, diſt Hircan, qu’vne femme fine ſçaura bien viure, ou toutes les autres mourront de faim. Auſsi, leur diſt Longarine, quand leur fineſſe eſt cogneuë, c’eſt bien la mort. Mais la vie, diſt Simontault : car elles n’eſtiment à petite gloire, eſtre reputées plus fines que leurs compagnes. Et ce nom lá de fines, qu’elles ont appris à leurs deſpens, faict plus hardiment venir les ſeruiteurs à leur obeïſſance, que la beauté. Car vn des plus grands plaiſirs, qui ſoit entre ceux qui aiment, c’eſt de conduire leur amitié finement. Vous parlez donc, diſt Emarſuitte, d’vne amour meſchante : car la bonne amour n’a beſoing de couuerture. Ha, diſt Dagoucin, ie vous ſupplie d’oſter ceſte opinion de voſtre teſte : pource que tant plus la drogue eſt precieuſe, & moins ſe doit eſuenter, pour la malice de ceux, qui ne ſe prennent qu’aux ſignes exterieurs, leſquels en bonne & mauuaiſe amitié ſont tous pareils. Parquoy les fault auſsi bien cacher quand l’amour eſt vertueuſe, que ſi elle eſtoit au contraire, pour ne tomber au mauuais iugement de ceux qui ne peuuẽt croire qu’vn homme puiſſe aimer vne dame par honneur : & leur ſemble que s’ils ſont ſubiects à leurs plaiſirs, que chacun eſt ſemblable à eux. Mais ſi nous eſtions tous de bonne foy, le regard & la parole ne ſeroient point diſsimulez, au moins à ceux, qui aimeroient mieux mourir, que d’y penſer quelque mal. Ie vous aſſeure Dagoucin, diſt Hircan, que vous auez vne ſi haulte philoſophie, qu’il n’y a homme icy qui l’ẽtende, ne la croye : car vous nous voudriez faire croire que les hõmes ſont anges, ou pierres, ou diables. Ie ſçay bien diſt Dagoucin, que les hommes ſont hommes, & ſubiects à toutes paſsiõs : mais ſi eſt-ce qu’il y en a, qui aimeroiẽt mieux mourir, que pour leur plaiſir leur dame feit choſe contre leur conſcience. C’eſt beaucoup de mourir, diſt Guebron. Ie ne croiray ceſte parole, quand elle ſeroit dicte de la bouche du plus auſtere religieux, qui ſoit. Mais ie croy, diſt Hircan, qu’il n’y en a point, qui ne deſirẽt le contraire. Toutesfois ils font ſemblant de n’aimer point les raiſins, quand ils ſont ſi haults qu’ils ne les peuuent cueillir. Mais, diſt Nomerfide, ie croy que la femme de ce prince fut fort ioyeuſe, que ſon mary apprenoit à cognoiſtre les femmes. Ie vous aſſeure, que non, diſt Emarſuitte : mais en fut treſmarrie,