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LA VI. IOVRNEE DES NOVVELLES

Ie ſus, monſieur, diſt ſa femme, ou auez vous tant eſté ? i’ay grand peur que voſtre ſanté en vaudra pis. M’amie, diſt le prince, ie ne ſeray iamais malade de veiller, quand ie garde de dormir ceux qui me cuident tromper. Et en diſant ces paroles ſe print tant à rire, qu’elle le pria bien fort de luy vouloir compter ce que c’eſtoit. Ce qu’il feit tout du long, en luy monſtrant la peau de loup, que ſon varlet de chambre auoit apportée. Et apres qu’ils eurent paſſé leur temps aux deſpens des pauures gens, s’en allerent dormir d’auſsi gracieux repos, que les deux autres trauaillerẽt en peur & crainte, que leur affaire fut reuelée. Toutesfois le gentil-homme, ſçachant bien qu’il ne pouuoit diſsimuler deuant le prince, vint au matin à ſon leuer, & le ſupplia qu’il ne le vouluſt point deceler, & qu’il luy feiſt rendre ſa cappe. Le prince feit ſemblant d’ignorer tout le faict, & tint ſi bonne contenance, que le pauure gentil-homme ne ſçauoit ou il en eſtoit. Si eſt-ce qu’à la fin, il ouït autre leçon qu’il ne penſoit : car le prince l’aſſeura que ſi iamais il retournoit, il le diroit au Roy, & le feroit bannir de la court.

Ie vous prie, mes dames, iugez, s’il n’euſt pas mieux valu à ceſte pauure dame d’auoir parlé franchement à celuy qui luy faiſoit tant d’honneur de l’aimer & eſtimer, que de le mettre par diſsimulation iuſques à faire vne preuue, qui luy fut ſi hõteuſe. Elle ſçauoit bien, diſt Guebron, que ſi elle luy confeſſoit la verité, elle perdroit entierement ſa bonne grace, qu’elle ne vouloit perdre pour rien. Il me ſemble, diſt Longarine, puis qu’elle auoit choiſi vn mary à ſa fantaſie, qu’elle ne deuoit craindre de perdre l’amitié de tous les autres. Ie croy bien, diſt Parlamente, que ſi elle euſt oſé deceler ſon mariage, elle ſe fuſt contentée de ſon mary : mais puis qu’elle le vouloit diſsimuler iuſques à ce que ſes filles fuſſent mariées, elle ne vouloit point laiſſer vne ſi hõneſte couuerture. Ce n’eſt pas cela, diſt Saffredent : mais c’eſt, que l’ambition des femmes eſt ſi grande, qu’elle ne ſe peult iamais contẽter d’en auoir vn ſeul. Mais i’ay ouy dire, que celles qui ſont les plus ſages, en ont volontiers trois, vn pour l’honneur, vn pour le profit, & l’autre pour le plaiſir : & chacun des trois penſe eſtre le mieux aimé, mais les deux premiers ſeruent au dernier. Vous parlez, ce diſt Oiſille, de celles, qui n’ont amour ny honneur. Ma dame, diſt Saffredent, il y en a telle de la

condition