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DE LA ROYNE DE NAVARRE. 167 dame : mais en cuidant monter vn degré, trouua vn varlet de chambre, qui deſcendoit, auquel il demanda, que faiſoit ſa maiſtreſſe, qui luy iura qu’elle eſtoit couchée & endormie. Le prince deſcendit le degré, & ſoupçonna qu’il mentoit, parquoy il regarda derriere luy, & veid le varlet, qui retournoit en grande diligence. Il ſe pourmena en la court deuant cefte porte, pour veoir ſi le varlet retourneroit point : mais vn quart d’heure apres le veid encores deſcendre, & regarder de tous coſtez pour veoir qui eſtoit en la court. A l’heure penſa le prince que le gẽtil-homme eſtoit en la chambre de ſa dame, & que pour crainte de luy n’oſoit deſcendre, qui le feit encores pourmener long temps. Et s’aduiſant qu’en la chambre de la dame y auoit vne feneſtre qui n’eſtoit gueres haulte, & regardoit dedans vn petit iardin, il luy ſouuint du prouerbe, qui dit : Qui ne peult paſſer par la porte, ſaille par la feneſtre. Dont foudain appella vn ſien varlet de chambre, & luy diſt : Allez vous en en ce iardin la derriere, & ſi vous voyez vn gentil-homme deſcendre par la feneſtre, ſitoſt qu’il ſera à terre, tirez voſtre eſpée, & en la frottant contre la muraille, criez, tuë, tuë : mais gardez vous de luy toucher. Le varlet de chambre s’en alla ou ſon maiſtre luy auoit commandé, & le prince ſe pourmena iuſques enuiron trois heures apres minuict. Quand le gentil homme entendit, que le prince eſtoit touſiours en la court, delibera de deſcendre par la feneſtre, & apres auoir ietté ſa cappe la premiere, auecques l'ayde de ſes bons amis, ſauta dedans le iardin. Et ſi toft que le varlet de chambre l’aduiſa, ne faillit de faire bruit de fon eſpée, & cria, tuë, tuë. Le pauure gentil homme cuidant que ce fuſt ſon maiſtre eut ſi grand peur, que ſans aduiſer à prendre ſa cappe, s’en fuit en la plus grande haſte qu’il luy fut poſsible, & trouua les archiers, qui faiſoient le guet, qui furent fort eſtonnez de le veoir ainſi courir : mais ne leur oſa rien dire, ſinon de les prier bien fort de luy vouloir ouurir la porte, ou de le loger auecques eux uſques au matin : ce qu’ils firent, car ils n’auoient pas les clefs. A ceſte heure lá vint le prince pour ſe coucher, & trouuant ſa femme dormant, la reueilla, luy diſant : Dormez vous, ma femme ? quelle heure eſt il : Elle luy diſt : Depuis au ſoir que me couchay, ie n’ay point ouy ſonner l’horloge. Il luy diſt : Ils ſont trois heures apres minuict paſſées.

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