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LA VI. IOVRNEE DES NOVVELLES

pagnon, & le vous lairray tout entier, & me retireray de la bonne volonté que ie vous ay portée. La pauure dame ſe print à plorer, craignant de perdre ſon amitié, & luy iura qu’elle aimeroit mieux mourir que d’eſpouſer le gentil-homme, dont il luy parloit : mais il eſtoit tant importun, qu’elle ne le pouuoit garder d’entrer en ſa chambre à l’heure que tous les autres y entroient. De ceſte heure lá, diſt le prince, ie ne parle point : car i’y puis auſsi biẽ entrer que luy, & chacun void ce que vous faictes. Mais on m’a dict qu’il y va apres que vous eſtes couchée : choſe que ie trouue ſi eſtrange, que ſi vous cõtinuez ceſte vie, & vous ne le declarez pour mary, vous eſtes la plus deshonnorée femme, qui oncques fut. Elle luy feit tous les ſermens qu’elle peult, qu’elle ne le tenoit pour mary, ne pour amy : mais pour vn auſsi importun gentil homme qu’il en fuſt. Puis qu’ainſi eſt, dit le prince, qu’il vous faſche, ie vous aſſeure que ie vous en defferay. Comment ? dit elle, le voudriez vous bien faire mourir ? Non, non, dit le prince : mais ie luy donneray à cognoiſtre, que ce n’eſt point en tel lieu, ne en telle maiſon, comme celle du Roy, ou il fault faire honte aux dames : & vous iure foy de tel amy, que ie vous ſuis, que ſi, apres auoir parlé à luy, il ne ſe chaſtie, ie le chaſtieray ſi bien, que les autres y prẽdront exemple. Sur ces paroles s’en alla, & ne faillit pas au partir de la chambre de trouuer le ſeigneur, dont eſtoit queſtion, qui y venoit, auquel il tint tous les propos que vous auez ouyz, l’aſſeurãt que la premiere fois qu’il le trouueroit hors l’heure, que les gentils-hommes doiuent aller veoir les dames, il luy feroit vne telle peur, qu’à iamais luy en ſouuiendroit, & qu’elle eſtoit trop bien apparentée, pour ſe iouër ainſi à elle. Le gentil-homme l’aſſeura qu’il n’auoit iamais eſté, ſinon comme les autres, & qu’il luy donnoit congé, s’il l’y trouuoit, de luy faire du pis qu’il pourroit. Quelques iours apres, que le gentil-homme cuidoit les paroles du prince eſtre miſes en oubly, s’en alla veoir au ſoir ſa dame, & y demeura aſſez tard. Le prince diſt à ſa femme, comme la dame, qu’il aimoit, auoit vn grãd rheume : parquoy ſa bõne femme le pria de l’aller viſiter pour tous deux, & de luy faire ſes excuſes de ce qu’elle n’y pouuoit aller : car elle auoit quelque affaire neceſſaire en ſa chambre. Le prince attendit que le Roy fuſt couché, & apres s’en alla pour donner le bon ſoir à ſa

dame :