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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

façon d’eſchapper de ſes mains, & ſ’en alla en frãchiſe aux Iacobins, qui fut le plus ſeur teſmoing que lon ait eu de ce meurtre. La ieune chambriere demoura quelques iours en ſa maiſon : mais il trouua façon de la faire ſuborner par l’vn des meurtriers, & la mena à Paris au lieu public, à fin qu’elle ne fuſt plus creuë en teſmoignage. Et pour celer ſon meurtre, feit bruſler le corps du pauure treſpaſsé : & les oz qui ne furẽt conſommez par le feu, les feit mettre dedans du mortier, là ou il faiſoit baſtir en ſa maiſon. Et enuoya à la court en diligence demander ſa grace, donnant à entendre qu’il auoit pluſieurs fois defendu ſa maiſon à vn perſonnage, dont il auoit ſuſpicion qu’il pourchaſſoit le deshonneur de ſa femme. Lequel nonobſtant ſa defence eſtoit venu de nuict en lieu ſuſpect pour parler à elle. Parquoy le trouuant à l’entrée de ſa chambre plus rempli de colere que de raiſon, l’auoit tué. Mais il ne peut ſi toſt faire deſpecher ſa lettre à la chancellerie, que le Duc & la Ducheſſe ne fuſſent par le pauure pere aduertiz du cas : leſquels pour empeſcher ceſte grace, enuoyerent au chancellier. Ce malheureux voyant qu’il ne la pouuoit obtenir, s’enfuit en Angleterre, & ſa femme auec luy, & pluſieurs de ſes parents. Mais auant que partir, diſt au meurtrier qui à ſa requeſte auoit faict le coup, qu’il auoit eu lettres expreſſes du Roy, pour le prendre & faire mourir. Mais à cauſe des ſeruices qu’il luy auoit faicts, il luy vouloit ſauuer la vie. Et luy dõna dix eſcuz pour s’en aller hors du royaume : ce qu’il feit, & oncques puis ne fut trouué. Ce meurtre icy fut ſi bien verifié tant par les ſeruiteurs du treſpaſſé, que par la chãbriere qui s’eſtoit retirée aux Iacobins, & par les oz qui furent trouuez dans le mortier, que le proces fut faict & parfaict en l’abſence dudict fainct Aignan & de ſa femme, & furent iugez par contumace, condamnez tous deux à la mort, leurs biens confiſquez au prince, & quinze cens eſcuz au pere pour les fraiz du proces. Ledict ſainct Aignan eſtant en Angleterre, voyant que par la iuſtice il eſtoit mort en France, feit tant par ſon ſeruice enuers pluſieurs grands ſeigneurs, & par la faueur des parents de ſa femme, que le Roy d’Angleterre, feit requeſte au Roy de luy vouloir donner ſa grace, & le remettre en ſes biens & honneurs. Mais le Roy ayant entendu le vilain & enorme cas, enuoya le proces au Roy d’Angleterre,

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