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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

propres : & la princeſſe ſa femme n’en faiſoit moins. Mais à cauſe de ſa beauté pluſieurs grans ſeigneurs & gentils-hommes cherchoient fort ſa bonne grace, les vns pour l’amour ſeulement, les autres pour l’anneau : car outre ſa beauté, elle eſtoit fort riche. Entre autres y auoit vn ieune gentil-homme, qui la pourſuiuoit de ſi pres, qu’il ne failloit d’eſtre à ſon habiller & deshabiller, & tout du long du iour, tãt qu’il pouuoit eſtre pres d’elle. Ce qui ne pleut pas audict prince, pour ce qu’il luy ſẽbloit qu’vn homme de ſi pauure lieu, & de ſi mauuaiſe grace ne meritoit point auoir ſi honneſte & gracieux recueil : dont ſouuent il faiſoit des remonſtrances à ceſte dame. Mais elle, qui eſtoit fille de Duc, s’excuſoit, diſant qu’elle parloit à tout le monde generalement, & que pour cela leur amitié en eſtoit mieux couuerte, voyant qu’elle ne parloit point plus aux vns, qu’aux autres. Mais au bout de quelque tẽps, ce gentil-home, qui la pourſuiuoit en mariage, feit telle diligẽce, plus par importunité que par amour, qu’elle luy promiſt de l’eſpouſer, le priant ne la preſſer point de declarer le mariage, iuſques à ce que ſes filles fuſſent mariées. A l’heure ſans crainte de conſcience alloit le gentil-homme en ſa chambre à toutes heures qu’il vouloit, & n’y auoit qu vne femme de chambre & vn homme, qui ſceuſſent leur affaire, Le prince voyant que de plus en plus le gẽtil-homme s’apriuoiſoit en la maiſon de celle qu’il aimoit tant, le trouua ſi mauuais, qu’il ne ſe peut tenir de dire à la dame : I’ay touſiours aimé voſtre honneur, comme celuy de ma propre ſœur, & ſçauez les propos honneſtes, que ie vous ay tenuz, & le contentement, que i’ay d’aimer vne dame tant ſage & vertueuſe, que vous eſtes : mais ſi ie penſois qu’vn autre, qui ne le merite pas, gaignaſt par importunité, ce que ie ne veux demander contre voſtre vouloir, ce me ſeroit choſe importable, & non moins deshonnorable pour vous. Ie le vous dy, pource que vous eſtes belle & ieune, & que iuſques icy auez eſté en ſi bonne reputation, & vous commencez d’acquerir vn treſmauuais bruit. Car nonobſtant qu’il ne ſoit pareil de maiſon, de biens, & moins d’authorite, ſçauoir, & bonne grace, ſi eſt-ce qu’il vaudroit mieux, que vous l’euſsiez eſpousé, que d’en mettre tout le monde en ſoupçon. Parquoy ie vous prie, dictes moy, ſi eſtes deliberée de le vouloir aimer : car ie ne le veux point auoir pour com-

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