Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA VI. IOVRNEE DES NOVVELLES

plaiſant morceau que ceſtuy lá. Et non content de ce bel acte, tua la femme du mort, & en arrachant de ſon ventre le fruict, dont elle eſtoit groſſe, le froiſſa contre les murailles, & emplit d’auoine les deux corps, du mary & de la femme, dedans leſquels il feit manger ſes cheuaux. Penſez ſi ceſtuy lá n’euſt bien faict mourir vne fille, qu’il euſt ſoupçonnée luy faire quelque deſplaiſir. Il fault biẽ dire, diſt Emarſuitte, que ce Duc auoit plus de peur, que ſon fils fuſt marié pauurement, qu’il ne deſiroit luy bailler femme à ſon gré. Ie croy, que vous ne deuez point (reſpõdit Simontault) douter que le naturel d’entr’eux eſt d’aimer plus que nature, ce qui eſt créé ſeulement pour le ſeruice d’icelle. Et voila, diſt Longarine, les pechez, que ie voulois dire : car on ſçait bien qu’aimer l’argent, ſinon pour s’en aider, eſt ſeruir les idoles. Parlamente diſt, que ſainct Paul n’auoit point oublié leurs vices, & de tous ceux, qui cuident paſſer & ſurmonter les autres hommes en prudence & raiſon humaine, en laquelle ils ſe fondent ſi fort, qu’ils ne rendent point à Dieu la gloire, qui luy appartient. Parquoy le tout puiſſant ialoux de ſon honneur rend plus inſenſez, que les beſtes enragées, ceux, qui ont cuidé auoir plus de ſens, que tous les autres hõmes, leur faiſant monſtrer par œuures cõtre nature, qu’ils ſont en ſens reprouué. Longarine luy rompit la parole, pour dire que c’eſt le troiſieſme peché, à quoy la plus part d’eux ſont ſubiects. Par ma foy, diſt Nomerfide, ie prens grãd plaiſir à ce propos : car puis que les eſprits, que lon eſtime les plus ſubtils & grands diſcoureurs, ont telle punition de demeurer plus ſots, que les beſtes : il fault donc cõclure que ceux, qui ſont hũbles & bas, & de petite portée, cõme le mien, ſeront rẽpliz de la ſapience des anges. Ie vous aſſeure, luy reſpõdit Oiſille, que ie ne ſuis pas loing de voſtre opiniõ : car nul n’eſt plus ignorãt, que celuy qui cuide ſçauoir. Ie n’ay iamais veu, diſt Guebron, mocqueur, qui ne fuſt mocqué : trõpeur, qui ne fuſt trõpé : ne glorieux, qui ne fuſt humilié. Vous me faictes ſouuenir, diſt Simontault, d’vne tromperie, que, ſi elle eſtoit honneſte, ie l’euſſe bien volontiers comptée. Or puis que nous ſommes icy pour dire verité, ce diſt Oiſille, ſoit de telle qualité que vous voudrez, ie vous donne ma voix pour la dire. Puis que la place m’eſt donnée, diſt Simontault, ie la vous diray.

Du ſale